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Autour de la nouvelle loi sur les Parcs nationaux français : enjeux et conflits

Publié le 06/02/2007
Auteur(s) : Lionel Laslaz, maître de conférences HDR en géographie et aménagement - Université Savoie Mont Blanc

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Bibliographie | citer cet article

"Non au Parc" ; les graffitis sur les murs et les rochers des côtes du Finistère contre le projet de Parc naturel marin en mer d'Iroise (soumis à enquête publique fin novembre 2006) rappellent ceux qui ornent encore les bords de la route du Col d'Allos (photographie ci-contre). Les situations se répètent donc et traduisent les relatives difficultés qu'ont les Parcs nationaux français pour naître et se faire admettre.

L'Assemblée nationale a adopté définitivement le 30 mars 2006, après le Sénat le 14 mars, la loi relative aux Parcs nationaux, aux Parcs naturels marins et aux Parcs naturels régionaux. Elle réforme la loi de 1960 [1]. Avec ce nouvel outil législatif, le processus de création des Parcs nationaux amazonien de Guyane et des Hauts de la Réunion et du Parc naturel marin de la mer d'Iroise est enclenché, après 15 années de discussion, sans oublier celui du Parc naturel marin en mer d'Iroise.

L'actualité de ces débats justifie l'état des lieux du fonctionnement des Parcs et l'analyse de la réforme législative.

Les Parcs nationaux définis par l'UICN - Texte

Au détour de la route du Col d'Allos (Parc national du Mercantour)

Cliché © L. Laslaz, 7 juillet 2005

Route conduisant d'Uvernet-Fours au Col d'Allos, en Haute-Ubaye (Parc National du Mercantour). Les restes de la contestation des années 1980 ne sont pas encore totalement effacés, ni des parapets, ni des mémoires.

La France se distingue de la plupart des autres pays par des mesures administratives et territoriales spécifiques : d'une part, un Parc national est un Établissement public à caractère administratif (EPCA) doté de la personnalité morale et de l'autonomie financière ; d'autre part, dans un système concentrique de protection, il se subdivise en trois types de zones : une zone centrale, une zone périphérique et, entre elles deux, des Réserves naturelles. Cette segmentation spatiale [2] est significative de la conception de la "nature" en France, parquée dans des espaces protégés. Elle se traduit par le "refus de la coprésence d'une autre activité, par son rejet idéologique, par le tracé de frontières et par les oppositions, voire les conflits, qu'implique toute attribution spatiale à des groupes sociaux d'intérêt divergents" (Laslaz, 2005). Signifiant étymologiquement couper, le terme de segmentation nous semble illustrer les objectifs recherchés par le législateur pour "faciliter la gestion" du parc comme l'indique R. Brunet (et al., dir., 1992). Si telle en est la finalité on peut douter de son efficience réelle : les différents conflits étudiés viseront à la tester.

Parcs nationaux, Parcs naturels régionaux et Réserves intégrales  : définitions, distinctions - Texte

Les espaces "naturels" protégés en France en 2005 (Outre-mer inclus)

La loi et le droit : principes de la réglementation dans les espaces "naturels" français

Pour toute artificielle qu'elle soit, la segmentation administrative est réelle et on peut s'interroger sur ses effets et ses origines. Certes, la segmentation entre protection et tourisme hivernal est inhérente à la constitution des Parcs nationaux : elle est le résultat d'un compromis permettant leur création. Mais ce type de pratique est-il réellement productif ? N'a-t-il pas même été contre-productif dans le sens, où, se libérant de potentiels conflits aréolaires, il n'a fait que multiplier les conflits linéaires le long des zones de contact (documents infra), entre ce qui est équipé et ce qui ne l'est pas ? En cherchant à séparer ces zones (cœur et périphérie), elles ont été rapprochées, précipitées les unes contre les autres. Demeurent, sur des lieux sensibles, symboliques, disputés, de nombreux conflits ponctuels vecteurs d'agitation sociale.

L'angle d'étude des zones centrales des Parcs nationaux (à travers celles des Alpes françaises) proposé ici sera celui des conflits, replacés dans le contexte actuel de lendemain de réforme législative. La réforme de la loi de 1960 induit-elle une nouvelle dynamique en termes de conflit, de nouveau consensus et de nouvelles relations fondées sur l'acceptation sociale des Parcs nationaux?

Ces Parcs ont été, souvent avant même leur création, le siège de conflits environnementaux et d'usages. Loin d'être déstructurants, ils ont été fondateurs, bénéfiques pour les espaces protégés, en les ancrant territorialement. L'analyse réglementaire et fonctionnelle des Parcs nationaux en opposition aux velléités de développement local, puis une plongée dans les difficultés rencontrées lors de leur création, permettront de comprendre le blocage actuel sur les nouveaux projets, puisque depuis 1989, aucune création de nouveau Parc n'est intervenue. Cette approche replacera dans leur contexte les motivations de la réforme des Parcs nationaux en 2006.

 

Comment les conflits ont-ils structuré les Parcs nationaux alpins français ?

La problématique développée dans notre travail (Laslaz, 2005, thèse de doctorat [3]) s'articule autour du passage progressif dans le temps d'une situation de conflit (non généralisable et à nuancer) à une recherche du consensus (non systématique et là encore à pondérer). S'appuyant sur la segmentation spatiale (documents ci-dessous), ce processus, compris comme un élément fondamental de l'ancrage territorial des Parcs nationaux alpins français, s'appuie sur les conflits, considérés comme des éléments structurants pour les zones centrales.

La segmentation spatiale sur le terrain : les zones centrales

Cliché : © L. Laslaz, 9 juillet 2004

Dans le Parc national du Mercantour, le Col Mercière, sur lequel débouche une piste. Elle résulte de l'aménagement du domaine skiable d'Isola 2000 et permet de rejoindre la station. Face à elle une barrière et le panneau signifiant que l'on pénètre au sein de la zone centrale. Par le Vallon Mercière, on rejoint effectivement le Vallon de Mollières et la Haute-Vésubie. La barrière vise à empêcher la pénétration d'engins motorisés en zone centrale, et informe les skieurs hors-piste de la présence de cette dernière. Mais ils sont ici peu nombreux, car le problème du retour à la station se pose.

Dans le Parc national des Écrins, à Châteauroux-les-Alpes, le haut vallon du Rabioux depuis le sommet du Roc Blanc (2897 m). Une vallée partagée entre intérêt des chasseurs (en zone périphérique) et velléités protectrices : la limite de la zone centrale passe en fond de vallée, pour rejoindre en plein milieu la Pointe de Serre (2909 m.). À droite le Mourre Froid à près de 3000 m. Au premier plan, "le Vallon", suspendu.

Cliché : © L. Laslaz, 12 juillet 2005

Cliché : © L. Laslaz, 7 août 2001

Dans le Parc national de la Vanoise, le Col Pers (3009 m.) qui permet aux skieurs hors-piste atteignant le sommet du domaine skiable de Val d'Isère de basculer dans les vallons classés en zone centrale de l'ombilic de Prariond. Une activité qui a provoqué de nombreux débats dans les années 1980 et 1990. Sur le panneau, à droite, le message de prudence de la station ; à gauche, le message naturaliste du PNV indiquant la présence de grands ongulés sauvages que les skieurs hors-piste perturbent en plein hiver.

 

De la représentation du conflit…

Toute lecture diachronique étant non linéaire, il s'agit d'une approche complexe démontrant des allers-retours incessants entre situations de contradictions et tentatives de compromis.

Le conflit est consubstantiel des zones centrales. J. et G. Richez (1978) furent les premiers à évoquer des "broussailles de conflits" au sein des Parcs nationaux. B. Charlier (1999) met en avant les notions d'opposition, de poids et de durée dans le conflit. Le conflit nécessite "la coexistence de comportements et de valeurs inconciliables" et une relation entre les unités de temps et de lieu. Il faut donc que le rapport de force se fasse en même temps et au même endroit. Selon B. Charlier (id.), un conflit est ouvert quand il se déroule au même endroit et en même temps ; il est latent quand le lieu est identique mais pas au même moment. Le conflit doit nécessairement se baser sur un enjeu : "ce qu'on espère gagner ou qu'on s'expose à perdre dans une entreprise". Ils peuvent être "économiques, politiques, écologiques". Il faut qu'il y ait rareté (ne pas pouvoir retrouver ce qui risque de disparaître), pour que le conflit prenne corps, mais ceci n'est valable qu'à plusieurs échelles d'espaces et de temps.

Cet enjeu territorial repose sur la forte identité des personnes utilisant cet espace et sur le sentiment de pouvoir qu'ils croient exercer sur celui-ci. Dans le cadre d'un rapport de force exercé entre deux acteurs, "le pouvoir représente la capacité d'un acteur A d'amener un acteur B à faire ce qu'il n'aurait certainement pas fait sans l'intervention de A" (B. Charlier, op. cit.) . Mais cette approche demeure un peu réductrice : la capacité peut n'être que supposée, ou perçue et pas forcément réelle. Tout dépend des moyens mis en œuvre pour arriver à une fin. C. Ruby (in Levy & Lussault, dir., 2003, p. 736) considère le pouvoir comme "la capacité à agir sur une situation de manière à en modifier le contenu ou le devenir", mais il insiste sur le fait que le pouvoir ne repose pas sur une simple capacité. C'est une "affaire de rapport et d'efficacité, bref de pratique". Un pouvoir, qui comme le conflit, s'inscrit dans un rapport à l'autre, et impose à l'autre.

Le conflit représente un choc et un affrontement (de fligere, battre) et se situe fréquemment aux limites des mailles appropriées. R. Brunet (et al., dir., 2002) insiste sur le fait qu'un territoire n'est pas qu'un lieu "d'affrontements duels, la réalité est plus complexe, avec des alliances réversibles et des problèmes à multiples partenaires". Mais il recoupe pour l'essentiel ce que M. Oraison (1970) nomme les "conflits inter-groupes". "Les conflits modèlent l'espace dans ses rationalités et ses aberrations permanentes" (Brunet, id.). Ils ont toujours pour thème majeur l'appropriation de l'espace, des ressources, des réseaux et sont le témoignage de "l'exacerbation des contradictions". C'est une "situation d'opposition entre deux catégories d'acteurs aux intérêts momentanément divergents" (B. Charlier, 1999, p. 53).

Les conflits environnementaux sont considérés comme plus larges que les conflits d'usages de l'espace rural (document ci-dessous à gauche). A. Torre et A. Caron (2005) distinguent en outre des conflits de voisinage, d'accès, d'usage et d'aménagement. Les conflits environnementaux sont abordés comme les conflits "dans leur rapport à l'espace", qui se développent en fonction "d'une distance physique (proximité par rapport à un objet ou une source de nuisance) ou des menaces réelles ou supposées qui pèsent sur le devenir d'un espace donné" (B. Charlier, 1999).

Le conflit peut ne pas être affiché, déclaré et pour autant être vigoureux. Mais cela demeure rare, car il se nourrit de déclarations, de faits et de mots (presse, internet, etc.) : le conflit a besoin d'être su pour continuer à être. Le conflit a besoin de se dire pour avancer, il nécessite des événements pour se renforcer.

Les différents types de conflits environnementaux

Le conflit vu comme un électocardiogramme : le cœur battant des Parcs nationaux

Au bout d'une durée variable, le conflit sans visages, sans formes matérielles, tangentielles et palpables est un conflit qui s'étiole et perd de sa substance ; à terme, il disparaît. L'analogie avec un électrocardiogramme (document ci-dessus à droite) n'a pas prétention à figurer autre chose qu'une représentation figurative du cycle de vie d'un conflit : sa gestation, parfois en relais d'autres conflits, une ou des phases de paroxysme, des alternances d'accalmies et d'explosion pour terminer par l'apaisement. Les petites oscillations présentes sur la courbe principale indiquent qu'à une micro-échelle de temps, la présence ou l'absence d'événements ponctuels constituent autant de pauses ou de recrudescences du conflit : ils sont des nuances à son évolution générale.

À l'inverse, tout laisse parfois croire qu'il y a conflit alors qu'il n'en est rien. La difficulté vient du fait que le conflit n'existe pas a priori : il est une production sociale et demeure perçu différemment en fonction des acteurs.

 

… à la polémosphère et à la polémogenèse

La réflexion sur le conflit permet de proposer une polémosphère (étymologiquement sphère d'un conflit) (document ci-dessous à droite), dotée d'un équateur (l'équilibre du rapport de force entre acteurs), d'un méridien principal (argumentation déployée par chacun d'eux) et d'un horizon (constituant l'issue du conflit). Elle est considérée comme un ensemble de cercles mettant en présence et en tension des acteurs divers qui s'opposent. Les deux premiers se recoupent en un point figurant une position : l'état de neutralisation du conflit.

La polémosphère

La ligne d'équilibre est représentée par l'équateur : c'est la condition sine qua non de la genèse et du maintien du conflit.

Si un des deux groupes d'acteurs écrase l'autre, le conflit ne se forme pas ou disparaît.

L'équateur reste donc toujours en situation médiane, il est invariant.

Par contre l'argumentation développée par les deux groupes d'acteurs glisse le long du méridien.

Si elle glisse vers le haut* l'acteur A prend le dessus. Si elle glisse vers le bas*, c'est l'acteur B qui domine.

Si cette argumentation rencontre la ligne d'équilibre (équateur), le conflit se neutralise provisoirement : c'est la position du conflit compris comme ses coordonnées sur la Terre.

* Nous ne parlons volontairement pas de Nord et de Sud car la polémosphère n'est pas située spatialement et ne dispose pas de points cardinaux.

Le conflit perdure lorsqu'il n'y a pas de supériorité absolue et démontrée de l'un sur l'autre. Cette situation d'équilibre, très variable dans le temps (de quelques jours à plusieurs années) est souvent recherchée : le conflit est ainsi un mode de mesure de ses propres forces et de ses propres limites. On veut savoir ce que l'on vaut face à l'adversité. Chacun donne ses chiffres pour se mesurer et se jauger (nombre de pétitions, nombre d'adhérents, ancienneté, articles de loi) et se base sur des critères de quantité (nombre de ces derniers), voire de qualité (légitimité "ancestrale" des revendications contre intérêt national, développement économique contre protection environnementale selon les schémas caricaturaux souvent mis en avant). Chacun construit donc sa propre légitimité. Le conflit est avant tout un conflit de légitimité basé sur une reconnaissance de l'autre comme opposant et donc comme existant. Qu'il soit de poids, je le combats ; qu'il soit frêle et inconsistant, je l'ignore ; qu'il soit marginal, je le prends en compte pour éviter qu'il ne sème.

Ainsi chaque individu serait doté de ses sphères, qu'il peut partager avec son groupe social, mais non dans leur globalité. Au sein de celles-ci, des hauts lieux (Grande Casse et village de Bonneval-sur-Arc dans le Parc national de la Vanoise ; La Meije dans le Parc national des Écrins - L. Laslaz, 2007) seraient entourés de territoires du quotidien et de territoires "inconnus". Les sphères peuvent se recouper, se correspondre, mais aussi se disjoindre, s'opposer, ce qui peut provoquer pour les hauts lieux (mais aussi pour des lieux non chargés de cette valeur symbolique) des tiraillements et des conflits. L'espace public, défini par M. Lussault (in Lévy & Lussault, dir., 2003) recèle trois "relations de contrariété", dont celle entre "privé versus public" dans laquelle "chaque acteur va adopter un registre spécifique d'action et détermine les pratiques légitimes pour lui comme pour autrui", dans une "sphère de la légitimité qui détermine ce qui est autorisé de ce qui ne l'est pas".

 

Le processus de création et de grossissement d'un conflit environnemental serait la polémogenèse ou conflictuogenèse qui débouche sur la modélisation suivante (document ci-dessous). Cette approche offre l'avantage de situer les conflits à la fois dans l'espace et dans une dimension diachronique, de les hiérarchiser en fonction des mobilisations et du retentissement qu'ils induisent, sans oublier leurs effets territoriaux.

La polémogénèse : intensité, durée et spatialisation des conflits, une vision dynamique

La courbe du temps désigne la durée et la persistance du conflit ; la courbe de l'espace le territoire concerné par le conflit. Ainsi, un conflit d'échelle 5 concerne en général la quasi-totalité de l'espace protégé jusqu'à l'ensemble du territoire national ("Affaire de la Vanoise", gestion du retour du loup ou de l'ours, etc.) et se situe dans une perspective de longue durée, ne serait-ce que dans la résolution du conflit. L'optimum conflictuel représente les conflits "utiles" dans le sens où ils sont structurants pour les Parcs nationaux (sans trop les affaiblir) et constructifs pour les différents acteurs gravitant autour de ceux-ci. Le "conflit pétard" est un exemple de conflit très court dans le temps mais de forte intensité, qui n'a souvent pas la rondeur et la mise en forme des autres. À l'inverse, le conflit larvé est marqué par sa longue durée et par son intensité relativement faible.

Chronologie et typologie des conflits autour des Parcs nationaux alpins français Tableau

Ainsi sont répertoriés les différents conflits enregistrés dans les Parcs nationaux alpins français (tableau ci-dessus). De manière simplifiée, on peut résumer l'évolution de la polémogenèse au sein des Parcs nationaux par un passage de conflits de petite échelle dans les années 1970 à des conflits à grande échelle (depuis 1980, surtout dans les années 1990 et 2000) en raison de la renaissance du local, d'une affirmation identitaire, des enjeux économiques croissants et de l'évolution de la mission des Parcs nationaux. Évidemment, ce pas de temps et ce glissement scalaire prennent une respiration nuancée dans chaque Établissement public, mais on peut distinguer dans chacun, une phase infantile dans laquelle les conflits sont violents et généraux dans l'espace protégé, une phase adolescente dans laquelle ils s'espacent mais peuvent rester violents, enfin une phase adulte où ils sont plus rares et en général plus discrets. Actuellement, les conflits semblent effectivement plus localisés. Ne sont-ils plus que des escarmouches ?

Déterminer une échelle des conflits suppose de catégoriser, mais le passage d'un seuil à l'autre n'est pas nécessairement très net. D'autre part, certains conflits d'échelle 1 ou 2 s'inscrivent dans un contexte plus large que les conflits 4 ou 5 : il existe donc des emboîtements. On peut néanmoins distinguer cinq échelles de conflits :

1- le micro-conflit, concerne une personne, ou une famille et le Parc national ou un autre acteur ;

2- la passe d'armes locale, en général entre une commune, un groupe d'acteurs et le Parc national ou un autre acteur ;

3 - la passe d'armes sectorielle (plusieurs communes) ayant des répercussions et un effet boule de neige sur l'ensemble du Parc national ;

4 - le conflit général au Parc national, concernant plusieurs secteurs ou toutes les vallées ;

5 - le conflit d'ampleur et de mobilisation nationales.

Mais tout classement comporte une part de subjectivité.

La contestation des Parcs nationaux alpins français

Chronologie et typologie des conflits autour des Parcs nationaux alpins français (pop-up)

Le document ci-contre à droite permet de situer dans l'espace (Parcs nationaux de la Vanoise et du Mercantour) les conflits du tableau en fonction de leur taille dans la polémogenèse. Pour les remettre en perspective, ils sont croisés avec les avis des communes lors des consultations préalables des conseils municipaux avant la création de l'Établissement public : il ressort un lien évident entre l'acceptation sociale médiocre de l'origine et la conflictualité plus marquée de certains secteurs.

Pour une carte de meilleure précision : téléchargement en version .pdf (2,6 Mo)

Cette répartition ne tient compte que de l'étendue et des répercussions du conflit, mais pas nécessairement de son intensité. Un conflit jugé "peu grave" peut prendre des proportions considérables en raison d'une mobilisation nationale et internationale que l'on peut juger disproportionnée.

 

 

Le bleu marine indique un avis favorable exprimé par le Conseil Municipal ; le bleu clair un vais favorable assorti de réserves, parfois très nombreuses (17 à Termignon, Maurienne, Savoie), largement dominant en Vanoise ; le rouge un avis défavorable sur le principe même de la création, très présent dans le Mercantour. Il ressort un lien évident entre l'acceptation sociale médiocre lors de la création des Parcs et la conflictualité plus marquée de certains secteurs (fonds de vallée, communes à projet de développement touristique, Ubaye, Roya ou Vésubie).

À titre d'exemple illustré de conflit, on peut s'appuyer sur le cas du retour du loup dans le Parc national du Mercantour.

Quand les Parcs nationaux cristallisent les conflits et représentent la protection : le cas du retour du loup dans le Mercantour [4]

Sur ce thème, voir l'article de Farid Benhammou : Territoire des animaux, territoire des hommes, aspects et enjeux du retour des grands prédateurs.

 

Quelles prospectives pour le développement des Parcs nationaux français ?

Sur un sujet longtemps tabou, le député du Var J.-P. Giran a remis en juillet 2003 un rapport parlementaire intitulé "Les Parcs nationaux : une référence pour la France, une chance pour ses territoires". Ce rapport était destiné à alimenter le débat sur la future loi. Les entretiens menés par le rapporteur se sont inscrits dans un contexte pesant, où les conflits environnementaux alimentaient les débats et le mécontentement des élus consultés. Cette situation était en outre renforcée par les polémiques autour du retour des loups.

La loi relative aux Parcs nationaux, aux Parcs naturels marins et aux Parcs naturels régionaux : chronologie
  • juillet 2003 : remise du rapport Giran
  • 1er décembre 2005 : débats à l'Assemblée Nationale
  • 31 janvier et 1er février 2006 : examen du projet de loi par le Sénat
  • 1er mars 2006 : rapport de la commission mixte paritaire
  • 14 mars 2006 : adoption de la loi par le Sénat
  • 30 mars 2006 : adoption définitive de la loi par l'Assemblée nationale.

 

En résumé : Cette loi renforce la protection juridique des Parcs nationaux. Elle modifie les dispositions des articles L. 331-1 du code de l'environnement et suivant relatifs aux Parcs naturels nationaux, parcs qui peuvent être crées à partir d'espaces terrestres ou maritimes quand ils comportent un intérêt spécial et qu'il faut en assurer la protection.

Elle crée des instruments spécifiques de protection pour les espaces marins comme "l'Agence des aires marines protégées".

De plus, elle aménage le régime des Parcs naturels régionaux.

Enfin, elle institue un établissement public coordonnateur nommé "Parcs nationaux de France".

 

Pour justifier la réforme votée en 2006, différents principes et argumentaires ont été avancés :

1 - Plus de souplesse : le Parc national est un label attractif au niveau touristique mais qui effraie localement, par les contraintes supposées ou réelles, notamment pour les projets de la mer d'Iroise, des Calanques ou de Guyane…

2 - Plus de contrat : le texte de loi de 1960 était devenu inadapté dans un contexte de décentralisation, avec le glissement de compétences de l'État vers les régions. Ainsi, la protection de l'environnement est déjà concernée avec la création des "Réserves naturelles régionales".

3 - Plus de proximité et de participation : la nécessité de s'adapter aux évolutions sociales (ou de rentrer dans les modes, puisque les textes de réforme étaient truffés de "gouvernance" et de "développement durable").

4 - Les découpages et segmentation spatiale en vigueur en France font qu'il persiste une dissociation entre zone centrale (rebaptisée "cœur") et zone périphérique (renommée "zone d'adhésion"). C'est aussi une dissociation fonctionnelle et psychologique.

Ainsi, les Parcs nationaux français sont entre le marteau de la pression locale et l'enclume des exigences européennes et des contingences internationales (UICN, conférences internationales), mais aussi des déclarations de principe nationales, comme la Stratégie nationale sur la biodiversité (février 2004) et la Charte de l'environnement (mars 2005 dans la Constitution), auxquels seront intégrés les futurs textes.

Dès 2003, la publication du rapport Giran a occasionné une véritable levée de boucliers, car les associations de protection de l'environnement craignait que la future réforme ne change les missions et la raison d'être des Établissements publics, et donc à terme le fonctionnement des Parcs nationaux. Il semble que le raisonnement doit être inversé : s'il y a débat et s'il y a loi, c'est parce que le fonctionnement et les missions des Parcs nationaux se sont profondément modifiés en une quarantaine d'années et que le cadre législatif et juridique n'est plus adapté aux conditions actuelles dans lesquelles il s'exerce. La réforme de 2006 était donc, quoiqu'on pense du résultat, nécessaire. Ses enjeux étaient de plusieurs ordres :

  • spatiaux : limites, taille et discontinuité du cœur, cohérence avec la zone d'adhésion.
  • fonctionnels : compétences et nominations des Directeurs et Présidents, fonctionnement et représentation du Conseil d'Administration, rôles du Bureau, du Comité Scientifique et du "Conseil économique, social et culturel".
  • politiques : présence de droit des députés, sénateurs, présidents de conseils régionaux et généraux, limitation d'âge, intérêts des uns et des autres.
  • sociaux : avec l'objectif de favoriser l'acceptation sociale locale.
  • idéologiques : quelle place accorder à la protection de l'environnement et aux Parcs nationaux par rapport au développement et au "développement durable" ?
  • financiers : à travers la dénonciation de la baisse drastique des moyens accordés au Ministère de l'écologie et du développement durable par le gouvernement.

 

Autour d'un projet longtemps en sommeil : jeu d'acteurs ; propositions et contre-propositions

Pour ouvrir un débat

Quelques mots clés de ce document : réforme, parc national, parc naturel régional, Mountain Wilderness, FRAPNA, zones centrales, périphériques, réserves naturelles, réserves intégrales, etc.

 

Sans doute, la loi, par ses nouveaux contours, valide-t-elle plus ou moins la finitude des nouveaux parcs nationaux possibles en métropole du fait des densités de population et d'équipement et des rejets déjà enregistrés. De ce fait, seul l'Outre-mer semble à moyen terme concerné, mais avec des adaptations et des édulcorations des textes de loi (alinéa d'article spécial Guyane pour l'orpaillage et les ethnies amérindiennes). En outre, par les contenus sur l'Aire marine, le texte permet un élargissement de la législation aux TAAF et à Mayotte. Enfin, la loi donne un poids accru au Conseil Régional qui, pour l'Outre-mer, est le principal acteur reconnu et qui joue un rôle majeur dans le projet des Hauts de la Réunion.

 

Conclusion

La notion de protection demeure bien à géométrie variable en fonction des acteurs. Entre une protection intangible considérant les hommes comme de dangereux prédateurs d'un milieu auquel ils sont extérieurs et les orientations actuelles vers le "développement durable" (si tant est que l'on puisse fournir un peu de consistance à ce concept flou) la protection apparaît donc plus comme un corpus de représentations marquées par des seuils de tolérance, que comme un état de fait gravé dans le marbre. À chaque période et chaque type de société ses normes de protection, le tout pour garantir un minimum d'acceptation sociale.

Les créations futures de Parcs nationaux se situeront sans doute principalement en Outre-mer. Il semble désormais difficile de pouvoir en réaliser en métropole, en raison des densités et de l'ancienneté de pratique et d'usage des espaces ruraux. En outre, l'image véhiculée par les Parcs nationaux, qui perdurera sans doute malgré la réforme, semble porteuse de trop de contraintes auprès des populations locales.

Le contexte de la loi de 2006 réformant les Parcs nationaux permet de remettre en perspective leurs quarante années d'évolution. Il est particulièrement complexe de faire évoluer des symboles, notamment de ce qui est intangible, marqué par une fixité paysagère et spatiale relative. Néanmoins, le débat qui s'est écoulé depuis la remise du rapport Giran (juillet 2003) à avril 2006 a été riche de propositions, parfois de contradictions également. La difficulté pour le législateur était de faire fi des prises de position partisanes et idéologiques pour aboutir à un texte plus adapté en terme de fonctionnement. C'est aussi par la connaissance et l'analyse des situations conflictuelles que l'évolution future que l'on souhaite donner aux Établissements publics peut être adaptée. La lecture des conflits impose donc une prise de distance et une mise en contexte tout en les abordant comme des événements positifs structurant les Parcs nationaux et, de manière plus générale, les opérations de protection de l'environnement, dans un pays où ils étaient traditionnellement tus. La recherche continue de consensus observée depuis plusieurs années devient d'autant plus favorisée que les contentieux des origines s'estompent avec le temps, le climat s'en trouvant plus serein.

Notes

[1] Loi du 22 juillet 1960 et son décret d'application du 31 octobre 1961

[2] On entendra par segmentation spatiale toute coupure visant à dissocier différents usages potentiels de l'espace jugés non compatibles.

[3] Les zones centrales des Parcs nationaux alpins français (Vanoise, Écrins, Mercantour) : des conflits au consensus social ? Contribution critique à l'analyse des processus territoriaux d'admission des espaces protégés et des rapports entre sociétés et politiques d'aménagement en milieux montagnards, Thèse de Doctorat en Géographie, CISM, Université de Savoie, sous la direction de X. Bernier, 2 volumes, 644 pages, décembre 2005. En résumé : Laslaz L. - "Les zones centrales des Parcs Nationaux alpins français (Vanoise, Écrins, Mercantour) : des conflits au consensus social ?" - Position de thèse, in Ruralia, n°16-17, 4 pages, 2006.

[4] Voir l'article de Farid Benhammou : Territoire des animaux, territoire des hommes, aspects et enjeux du retour des grands prédateurs.

Bibliographie indicative

  • Bassargette D. - "Le futur Parc de la forêt tropicale guyanaise : une opportunité pour repenser la relation spatiale entre une organisation et son substrat" - Annales de Géographie, n ° 630, p. 188-213, 2003
  • Berque A. - Ecoumène, Introduction à l'étude des milieux humains - Belin, coll. Mappemonde, 271 pages, 2000
  • Brunet R. (et al., dir.) - Les mots de la géographie, dictionnaire critique - Reclus/La Documentation française, 518 pages, 1992
  • Caron A. et Torre A. - "Conflits d'usage et de voisinage dans les espaces ruraux" - Sciences de la Société, n° 57, p. 95-113, 2002
  • Charlier B. - La défense de l'environnement : entre espace et territoire : géographie des conflits environnementaux déclenchés en France depuis 1974 - Université de Pau et des Pays de l'Adour, Thèse de Doctorat, sous la direction de A. Etchelecou, 753 pages, 1999
  • Depraz S. - "Le concept d'"akzeptanz" et son utilité en géographie sociale. Exemple de l'acceptation locale des parcs nationaux allemands" - Espace Géographique, n°1, p. 1-16, 2005
  • Finger-Stich A.S. et Ghimire K.B. - Travail, culture et nature : le développement local dans le contexte des Parcs Nationaux et naturels régionaux de France - L'Harmattan, 234 pages, 1997
  • Giran J.-P. - Les Parcs Nationaux : une référence pour la France, une chance pour ses territoires - Rapport parlementaire au Premier Ministre, 90 pages, juin 2003
  • Laslaz L. - La Meije, un haut lieu alpin - Comp'Act, 112 pages, 2007
  • Laslaz L. - Vanoise : 40 ans de Parc National ; bilan et perspectives - L'Harmattan, coll. Géographies en liberté, 434 pages, 2004
  • Laslaz L. - Les zones centrales des Parcs Nationaux alpins français (Vanoise, Ecrins, Mercantour) : des conflits au consensus social ? Contribution critique à l'analyse des processus territoriaux d'admission des espaces protégés et des rapports entre sociétés et politiques d'aménagement en milieux montagnards, Thèse de Doctorat en Géographie, CISM, Université de Savoie, sous la direction de X. Bernier, 2 volumes, 644 pages, décembre 2005

[En résumé : Laslaz L. - "Les zones centrales des Parcs Nationaux alpins français (Vanoise, Ecrins, Mercantour) : des conflits au consensus social ?" - Position de thèse, in Ruralia, n°16-17, 4 pages, 2006].

  • Laurens L., dir. - "Les Parcs Naturels de France, un concept de développement territorialisé et environnementale à l'épreuve du temps" - Bulletin de la Société Languedocienne de Géographie, n°3/4, 212 pages, 1997
  • Levy & Lussault, dir. - Dictionnaire de la géographie et de l'espace des sociétés - Belin, 1034 pages, 2003
  • Leynaud E. - L'État et la Nature : l'exemple des Parcs Nationaux français : contribution à une histoire de la protection de la Nature - Parc National des Cévennes, 70 pages, 1985
  • Oraison M. - Les conflits de l'existence : s'affronter et s'entendre - Le Centurion, coll. "Sciences humaines", 127 pages, 1970
  • Richez G. - Parcs nationaux et tourisme en Europe - L'Harmattan, coll. Tourismes et sociétés, 421 pages, 1992
  • Ruby C. - "Pouvoir" (in Levy & Lussault, dir.) - Dictionnaire de la géographie et de l'espace des sociétés - Belin, p. 736-737, 2003
  • Zuanon J.-P., Gerbaux F., Tron L. - 1913-1974 : du Parc National de la Bérarde, à celui du Pelvoux et enfin des Écrins ; histoire du Premier Parc National français - PNE/ONF, 63 pages, 1994
Pour compléter

 

 

Lionel LASLAZ

 

Mise à jour :   06-02-2007

 


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Lionel LASLAZ
maître de Conférences en Géographie, Laboratoire EDYTEM (Environnements, DYnamiques et TErritoires de la Montagne), CNRS UMR 5204, Université de Savoie - Chambéry,

 

organisation et réalisation de la page web : Sylviane Tabarly
pour Géoconfluences le 6 février 2007

Pour citer cet article :

Lionel Laslaz, « Autour de la nouvelle loi sur les Parcs nationaux français : enjeux et conflits », Géoconfluences, février 2007.
URL : http://geoconfluences.ens-lyon.fr/doc/territ/FranceMut/FranceMutScient6.htm

 

Pour citer cet article :  

Lionel Laslaz, « Autour de la nouvelle loi sur les Parcs nationaux français : enjeux et conflits », Géoconfluences, février 2007.
http://geoconfluences.ens-lyon.fr/doc/territ/FranceMut/FranceMutScient6.htm