Que la peste soit de l’animal !
La législation à l’encontre des animaux en période
d’épidémies dans les villes des Pays-Bas méridionaux
et de la principauté de Liège (1600-1670)
William Riguelle
Lorsque le prince-évêque de Liège, Maximilien-Henri de Bavière,
prescrit plusieurs mesures prophylactiques afin de protéger la ville de Huy
contre la peste en 1668, il interdit notamment à tous les bourgeois de tenir
« chiens, chats, colombes, pigeons, lapins, chèvres, porcs et moutons ni
autre sorte de bestes […] 1 ». Au xviie siècle comme précédemment 2, les
autorités des villes des Pays-Bas et de la principauté de Liège condamnent
la circulation de plusieurs animaux dans les rues dès la menace d’une
épidémie : à Ostende, Bruges, Turnhout, Bruxelles, Huy, Liège ou Namur,
l’obligation de se débarrasser ou de garder enfermés les porcs, la volaille
ou les chiens figure parmi les obligations – parfois même les premières
obligations 3 – formulées par les administrateurs pour se prémunir contre
la maladie contagieuse 4. Les charognes sont également redoutées : les chats,
1. « Ordonnance prescrivant les mesures à prendre pour se préserver de la maladie contagieuse régnant à
Huy », 18 octobre 1668, in Polain Mathieu-Lambert (éd.), Recueil des ordonnances de la principauté
de Liège (dorénavant ROPL), 2e série, vol. 3, Bruxelles, 1872, p. 337-338, article 4.
2. Voir notamment : De Backer Christian, « Maatregelen tegen de pest te diest in de vijftiende en
zestiende eeuw », in De pest in de Nederlanden: medisch historische beschouwingen 650 jaar na de zwarte
dood, Bruxelles, Académie royale de médecine de Belgique, 1999, p. 183-209 ; Dethy Christelle,
La lutte contre la peste à Mons sous Charles Quint, mémoire de licence en histoire, inédit, université
catholique de Louvain, année académique 1999-2000.
3. Bibliothèque de l’université de Liège [dorénavant BUL], manuscrits, no 238C.
4. Membré Jacques, « La peste à Valenciennes. L’épidémie de 1668 : les bancs politiques, les remèdes
préconisés, les comptes des pestiférés », in Épidémies et endémies à Ath et en Hainaut du Moyen Âge
au XIXe siècle, actes du colloque de Chièvres, 1989, t. XIII, 1998, p. 77-87, cf. p. 78-79 ; Charlier
Jacques, La peste à Bruxelles et ses conséquences démographiques, Bruxelles, Pro Civitate, 1969, p. 58 ;
Huyghebaert Louis, Saint Hubert. Patron des chasseurs (s. l. s. n.), 1928, p. 144. Précisons que,
parallèlement à la peste, d’autres maladies infectieuses à caractère épidémique sévissent au xviie siècle.
Celles-ci ne sont pas aisées à identifier au vu des termes génériques contagion ou peste qui sont généralement employés dans les sources afin de désigner toutes les épidémies. Ces dernières sont néanmoins
très bien distinguées par les contemporains, qui les traitent de manière différente. Jacquet-Ladrier
Françoise, « L’hôpital Saint-Roch et la lutte contre la peste à Namur, aux xviie et xviiie siècles »,
Annales de la Société belge d’histoire des hôpitaux, t. XVIII, 1980, p. 59-70, cf. p. 63.
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WILLIAM RIGUELLE
poules ou – de manière beaucoup plus rare – rats morts sont considérés comme autant d’éléments causant une grande infection et doivent être
immédiatement jetés dans la rivière ou transportés hors de la ville 5.
Les animaux font donc partie intégrante de la législation en période
d’épidémie 6. Les normes promulguées à leur égard éclairent le comportement des gouvernants et mettent en lumière le regard porté par l’homme
sur l’animal, ainsi que « le statut que ce regard leur confère 7 ». La place
des animaux dans ce contexte est notamment indissociable des questions
d’hygiène publique et d’une autre figure de l’errance urbaine : le vagabond.
Il est donc important d’intégrer l’animal et son sort aux analyses sur d’autres
aspects de la vie urbaine du xviie siècle.
Mobilisant essentiellement des sources législatives et des traités
médicaux, cette contribution se propose d’analyser la réglementation du
pouvoir central et local des Pays-Bas méridionaux et de la principauté de
Liège à l’encontre des animaux urbains en période de peste 8. Plus spécifiquement, il est ici question des ordonnances édictées au xviie siècle, période
au cours de laquelle la maladie se manifeste de façon irrégulière et récurrente dans ces régions jusque dans les années 1669-1670 9. À partir de notre
corpus documentaire, il convient de se pencher sur les discours, les silences,
les moyens de répression et surtout sur les motivations des autorités. Pour
5. Archives de l’État à Namur (dorénavant AEN), Ville de Namur, 48bis, 8 décembre 1634, fo 26 ro ;
Charlier Jacques, La peste à Bruxelles et ses conséquences démographiques, op. cit., p. 58 ; « Mesures
pour prévenir la propagation de la peste », 1er septembre 1603, in Brants Victor (éd.), Recueil des
ordonnances des Pays-Bas. Règne d’Albert et Isabelle. 1597-1621, vol. 1, Bruxelles, J. Goemaere, 1909,
p. 220-224. Le rat apparaît très rarement dans les sources législatives. Aucune trace de celui-ci n’est
par exemple observée à Liège. De plus, c’est de l’animal mort dont il est question : les rats vivants ne
sont jamais cités dans les règlements.
6. Cependant, l’historiographie insiste relativement peu sur le sort de l’animal dans ce contexte épidémique. La récente Histoire de la peste de Jean Vitaux énumère par exemple huit mesures prophylactiques historiques pour éviter la diffusion de la peste : même si le nettoyage des rues est mentionné,
aucune ne fait explicitement référence aux animaux. Vitaux Jean, Histoire de la peste, Paris, PUF,
2010, p. 145-146. En Belgique, plusieurs chercheurs se sont penchés sur les épidémies au Moyen Âge
et aux Temps modernes, principalement au sein de revues locales. Même s’il est souvent question
des animaux dans l’énumération des mesures prophylactiques adoptées, l’analyse n’est pas approfondie à ce sujet. Voir par exemple : Jacquet-Ladrier Françoise, « Les épidémies de Peste aux xviexviie siècles. L’exemple de Namur », Cahiers de Sambre et Meuse, no 4, 2007, p. 122-141 ; Bauwens
Pierre, « Les deux dernières graves épidémies de peste à Huy (1634-1636 et 1668-1669) », Annales
du Cercle hutois des sciences et des beaux-arts (dorénavant ACHSBA), no 48, 1994, p. 41-64. Dans tout
ce tableau historiographique, mentionnons néanmoins une exception : Audoin-Rouzeau Stéphane,
Les chemins de la peste : le rat, la puce et l’homme, Rennes, PUR, 2003.
7. Beck Corinne et Fabre Éric, « L’animal, l’histoire et l’histoire naturelle. Un mariage à trois est-il
possible ? », Études rurales, no 189, 2012, p. 107-120, cf. p. 107.
8. Ces deux territoires recouvrent plus ou moins celui de la Belgique actuelle.
9. Après 1670, la maladie ne revient plus sur le territoire actuel de la Belgique. Bruneel Claude,
La mortalité dans les campagnes : le duché de Brabant aux XVIIe et XVIIIe siècles, Louvain, Nauwelaerts,
1977, p. 514 ; Arnould Maurice-Aurélien, « Mortalité et épidémies sous l’ancien régime dans le
Hainaut et quelques régions limitrophes », in Harsin Paul et Hélin Étienne (dir.), Problème de
mortalité. Méthodes, sources et bibliographie en démographie historique, actes du colloque international
de démographie historique, Liège, 18-20 avril 1963, Liège, université de Liège, 1965, p. 465-481,
cf. p. 477.
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QUE LA PESTE SOIT DE L’ANIMAL !
quel(s) motif(s) le pouvoir cible-t-il l’animal ? Quelles sont les espèces considérées comme nuisibles ? Comment les autorités organisent-elles la lutte
contre celles-ci ?
Des miasmes, mais point de puces
La peste est « l’archétype des fléaux dévastateurs 10 » : elle tue rapidement,
anéantit des populations entières et dispose d’une forte valeur d’épouvante
dans l’imaginaire mental. Nicolas Delamare, dans son célèbre Traité de la
police, précise que « de toutes les maladies qui arrivent aux hommes, il n’y
en a point de plus dangereuse que celle-ci ; elle a souvent désolé et ravagé en
peu de mois les Provinces entières, et les a rendues désertes 11 ». Si la peste
symbolise la mort et déstabilise considérablement les sociétés humaines,
c’est parce que les contemporains doivent faire face à l’absence de connaissances concrètes sur les origines du mal. C’est en effet à la fin du xixe siècle
qu’Alexandre Yersin identifie le bacille pesteux (Yersinia pestis, 1894) et que
les travaux de Paul-Louis Simond (1898) permettent de découvrir le mode
de transmission de la maladie, la puce, dont le rôle échappe complètement
aux hygiénistes anciens 12. En Europe occidentale, parmi les facteurs explicatifs du fléau, il n’est en effet aucunement question de la puce ni même du
rat au xviie siècle. Les causes du mal sont cherchées ailleurs, et sont notamment attribuées à une corruption de l’air, elle-même provoquée « par des
conjonctions de planètes ou des émanations de la terre 13 ». Nombreux sont
les membres du corps médical à s’accorder sur le rôle néfaste du mauvais air,
tels le médecin gantois Herman Vander Heyden, le docteur Lazare Macquis
ou encore Louis Overdatz, qui édite un traité sur la peste à Bruxelles en
1668 dans lequel il précise que la maladie provient de l’air vicié 14.
Formulée par les savants et les médecins, cette théorie est partagée par
les autorités des Pays-Bas et de la principauté de Liège, qui s’appuient sur
leurs conseils 15 et craignent les miasmes, ces vapeurs putrides qui corrompent
10. Le Guérer Annick, « Le déclin de l’olfactif, mythe ou réalité ? », Anthropologie et Sociétés, vol. 14,
1990, p. 25-45, cf. p. 34.
11. Delamare Nicolas, Traité de la police, t. 1, Paris, Michel Brunet, 1722, p. 648.
12. Delort Robert, « La peste soit du rat ! », L’Histoire, no 74, 1985, p. 50-55, cf. p. 50.
13. Biraben Jean-Noël, « Peste », in Bluche François (dir.), Dictionnaire du Grand Siècle, Paris, Fayard,
1990, p. 1188-1189, cf. p. 1188 ; Vandermonde Charles-Auguste, Dictionnaire portatif de santé,
t. 2, nouv. éd., Paris, Delalain, 1783, p. 370. L’apparition de l’épidémie est également perçue comme
une manifestation de la colère divine se déchaînant contre les pêchés des hommes. Delumeau Jean,
La peur en Occident (XIVe-XVIIIe siècles) : une cité assiégée, Paris, Fayard, 1978, p. 171 ; Fontaine Jean
de la, Les animaux malades de la peste, 2e recueil, livre 7, fable 1, 1678.
14. Vander Heyden Herman, Discours et advis sur les flus de ventre douloureux, soit qu’il y at du sang
ou point, Gand, Servais Manilius, 1645, p. 38 ; Bertrand Léon, « Contribution à l’étude de la
peste dans les Flandres du xive au xviiie siècle », in Comptes rendus du deuxième congrès international
d’histoire de la médecine (Paris, juillet 1921), Évreux, Hérissey, 1922, p. 42-53, cf. p. 45 ; Overdatz
Louis, Kort verhael vande peste met hare geneesmiddelen dienstigh voor alle arme verlaten menschen,
Bruxelles, Mommaert, 1668.
15. Voir notamment à ce sujet : Charlier Jacques, op. cit., p. 23, 61.
111
WILLIAM RIGUELLE
l’air 16. Elles adoptent dès lors une série de mesures préventives d’ordre public
destinées à éliminer tout ce qui contribue à la création d’une atmosphère
viciée et infectée : fumigation, isolation des pestiférés, nettoyage des rues,
mais aussi défense aux citadins de nourrir des pourceaux, lapins, pigeons ou
chiens en ville. La crainte de la peste et des mauvaises odeurs véhiculées par
les chiens ou les chats entraînent donc à de multiples reprises une référence
aux bêtes immondes, puantes, dont il convient de faire cesser les déplacements
et l’élevage au sein des villes. Cette perception de la malignité de l’air est en
effet rapidement jointe à celle du support matériel qui en assure la propagation, et l’idée s’impose que la maladie est apportée dans la ville de l’extérieur,
par des objets infectés, des vagabonds, des pauvres ou des animaux errants.
Ces derniers représentent un des vecteurs supposés de l’épidémie, car ils sont
vus, selon le bourgmestre liégeois Mathias de Grati, comme portant dans
leurs entrailles et dans leurs poils ou plumes de la vapeur pourrie susceptible de s’élever dans les airs et de le corrompre 17. La bête, à l’instar des
vêtements, des fourrures ou des draps, retient la peste et la transporte dans les
endroits où elle circule 18. Une doctrine contagioniste vient donc s’ajouter à
celle des aéristes craignant l’infection de l’air, et les lois adoptées s’inspirent à
la fois de ces deux conceptions, essentiellement à partir du xvie siècle 19. Cet
élément est d’ailleurs bien perceptible dans les recommandations médicales en
période de maladie. À Liège, le médecin Jean-François Bresmal signale qu’en
temps de peste, il convient de tuer « les chiens, les chats, les pigeons et autres
animaux domestiques qui peuvent porter l’air 20 ». À la fin du xvie siècle, le
docteur anversois Van Hakendover recommande de ne pas tenir des animaux
dégageant une mauvaise odeur 21. Les charognes sont également mentionnées
par les médecins, qui soulignent que le mauvais air se trouve surtout dans les
endroits où sont abandonnés des cadavres humains et animaux 22.
16. Concernant la théorie des miasmes, voir notamment : Corbin Alain, Le miasme et la jonquille.
L’odorat et l’imaginaire social XVIIIe-XIXe siècles, Paris, Aubier Montaigne, 1982.
17. Grati Mathias de, Discours de droit moral et politique qui peut servir de remède tant contre la peste des
villes et états que contre celle de l’âme et du corps. Seconde partie, Liège, Henry Hovius, 1676, p. 13.
Mathias de Grati est un administrateur et diplomate liégeois. Il naquit dans la première moitié du
xviie siècle et mourut à Liège postérieurement à 1685. Le Roy Alphonse, « De Grati, Mathias », in
Biographie nationale de Belgique (dorénavant BNB), t. 8, 1885, col. 211-214.
18. Quatroux Isaac, Traité de la peste contenant sa définition, ses espèces, et différences, ses causes, ses signes,
ses accidens, sa cure, et les moyens de s’en garantir, Paris, E. Couterot, 1671, p. 125.
19. S’il est question de contagion et que les animaux figurent parmi les agents contaminants, la façon
dont la contagion s’opère reste néanmoins floue. Biraben Jean-Noël, Les hommes et la peste en France
et dans les pays européens et méditerranéens, t. 2, Paris/La Haye, Mouton, 1976, p. 25, 27 ; Revel
Jacques, « Autour d’une épidémie ancienne : la peste de 1666 à 1670 », Revue d’histoire moderne et
contemporaine, t. 17, 1970, p. 953-983, cf. p. 965.
20. Bresmal Jean-François, Parallèle des eaux minérales actuellement chaudes et actuellement froides du
diocèse et pays de Liège, divisé en deux parties avec un avis au public pour se préserver de la peste, des
fièvres pestilentielles et malignes, et d’autres maladies de pareilles natures, Liège, A. Barchon, 1721,
p. 27. Jean-François Bresmal est un docteur en médecine officiant à Liège au xviiie siècle.
21. Bertrand Léon, « Contribution à l’étude de la peste dans les Flandres du xive au xviiie siècle »,
op. cit., p. 46.
22. Ibid., p. 45.
112
QUE LA PESTE SOIT DE L’ANIMAL !
Si ce sont des motifs liés à l’hygiène publique qui sont prioritairement
avancés pour justifier la mise à l’écart des animaux, il n’est pas déraisonnable
de suggérer que les autorités agissent également à l’encontre de ceux-ci parce
qu’elles les croient atteints par le mal. Même si, pour certains auteurs, les
chiens ou les chats agissent comme des vecteurs de la peste sans être contaminés 23, pour d’autres, les animaux sont susceptibles d’être touchés par l’air
« contagieux et pestiféré » et donc par la maladie. Le Dictionnaire universel
d’Antoine de Furetière stipule par exemple que la peste est « l’ennemie
mortelle de la vie des hommes, des animaux, et même des plantes et des
arbres 24 ». Jean Van der Cruyse, un curé d’une petite localité située au
nord d’Anvers, publie un opuscule en 1604 dans lequel il conseille de
tenir attaché les chiens et les chats, car ces derniers sont susceptibles de
« contracter » le mal 25. Dans ce contexte, l’enfermement et la mise à l’écart
des animaux constituent des précautions destinées certes à éviter qu’ils
ne propagent la maladie, mais peuvent aussi être interprétés comme une
volonté de protéger certaines bêtes contre celle-ci. Néanmoins, rien n’est
précisé de manière explicite dans les sources législatives quant à la mortalité des animaux durant l’épidémie. Le fait que certains contemporains y
fassent référence est d’ailleurs étrange, puisqu’on sait actuellement que les
chiens, les chevaux ou les oiseaux n’en sont ordinairement pas atteints. La
mortalité animale telle qu’elle peut se constater à travers certaines sources
peut alors être provoquée, comme le suggèrent Henri Mollaret et Jacqueline
Brossollet, par le manque de soin qui leur est accordé pendant l’épidémie 26.
La mise à distance et à mort des nuisibles
En période de peste, les édits de police interdisent généralement aux
citadins de tenir ou de nourrir des animaux dans l’enceinte, ce qui signifie qu’ils doivent les en chasser dans un délai variable – généralement de
trois jours – suivant la publication du règlement. À Namur comme à
Huy, les porcs sont ainsi envoyés à la herde commune 27. Cependant, dans
23. Poix de Fréminville Edme de la, Dictionnaire ou traité de la police générale des villes, bourgs,
paroisses, et seigneuries de la campagne, nouv. éd. rev. et corr., Paris, Gissey, 1769, p. 247.
24. « Peste », in Furetière Antoine, Dictionnaire universel, contenant généralement tous les mots françois
tant vieux que modernes, et les termes de toutes les sciences et des arts, La Haye, Leers, 1690, en ligne
(page consultée le 25 avril 2016).
25. Bertrand Léon, « Contribution à l’étude de la peste dans les Flandres du xive au xviiie siècle »,
op. cit., p. 46.
26. Mollaret Henri H. et Brossollet Jacqueline, « La peste, source méconnue d’inspiration artistique », Jaarboek, Anvers, Koninklijk museum voor schone kunsten, 1965, p. 3-112, cf. p. 30.
27. AEN, Ville de Namur, 370, 31 juillet 1635, article 16, [n.f.] ; « Cri du péron prescrivant aux
habitants de Huy certaines mesures à prendre pour se préserver de la peste », 7 juillet 1606, in
Polain Mathieu-Lambert (éd.), ROPL, 2e série, vol. 2, op. cit., p. 279-281, article 6 ; « Édits de
police », 31 juillet 1622, in Borgnet Jules, Bormans Stanislas et Brouwers Dieudonné (éd.),
Cartulaire de la commune de Namur, t. 5, Namur, Wesmael-Charlier, 1922, p. 4-23, cf. p. 17.
Voir également : Croix Alain, « Le familier et le sauvage : hommes et animaux au xviie siècle »,
113
WILLIAM RIGUELLE
certaines localités, ceux « qui ont commodité de les tenir serrées en leur
maison, sans discommodité de leurs voisins » peuvent continuer à garder
leurs porcs, chèvres ou lapins 28. La possibilité de garantir ces animaux
de l’expulsion par la détention d’un jardin, d’une étable ou d’une place
commode est néanmoins loin d’être une permission générale et constante.
Elle n’est également pas toujours valable pour la ville intra muros, mais peut
concerner uniquement les faubourgs 29. De plus, même si certaines espèces
comme les chiens, chats ou poules ont le droit d’être maintenues en ville,
ce n’est uniquement dans le cas où elles restent enfermées et attachées, sans
pouvoir sortir et se retrouver en liberté 30. Pour les motifs cités plus haut,
un des desseins de l’autorité est d’empêcher le vagabondage des bêtes dans
l’espace public, raison pour laquelle elles doivent être chassées, « liées » ou
« tenues serrées » dans les habitations 31. Sans propriétaire ou en liberté,
l’animal s’expose à toutes les contaminations et représente un réel danger.
Le parallèle entre l’expulsion de l’animal et la mise à l’écart des étrangers,
des mendiants ou des marginaux est d’ailleurs manifeste. Il s’observe déjà au
Moyen Âge, où la réglementation sanitaire qui ordonne le rejet de certains
animaux apparaît au même titre que celle visant à expulser la population
errante, les lépreux ou les prostituées 32. L’animal errant ne peut donc se
dépêtrer de cette autre figure de l’errance urbaine, à savoir le vagabond, d’où
le terme d’« animal vagabond », de « chien vagabond », qui les associe 33.
Pour ceux qui ne possèdent pas de terre ou d’espace pour maintenir
leur animal en ville, il ne leur reste plus qu’à le conserver en clandestinité,
à l’abandonner ou à le mettre à mort. À Huy, certains habitants laissent
ainsi leurs animaux dans les rues ou les noient dans les puits et les fontaines
publiques 34. Si les citadins tuent leurs bêtes parce qu’ils n’ont pas d’endroit
où les mettre, abattre son animal peut aussi être une obligation légale.
in Durand Robert (dir.), L’homme, l’animal domestique et l’environnement, Nantes, Ouest Éditions,
1993, p. 373-385, cf. p. 381.
28. « Cri du péron prescrivant aux habitants de Huy certaines mesures à prendre pour se préserver de la
peste », 7 juillet 1606, in Polain Mathieu-Lambert (éd.), ROPL, 2e série, vol. 2, op. cit., p. 279-281.
29. Archives de l’État à Liège (dorénavant AEL), Conseil privé, no 108, 18 août 1615, fo 118 vo-119 vo ;
BUL, manuscrits, no 238C, 18 octobre 1607, fo 141 ro-142 ro.
30. AEN, Ville de Namur, 48 bis, 8 décembre 1636, fo 36 vo.
31. « Cri du péron prescrivant aux habitants de Huy certaines mesures à prendre pour se préserver de la
peste », 7 juillet 1606, in Polain Mathieu-Lambert (éd.), ROPL, 2e série, vol. 2, op. cit., p. 279-281.
32. Fourcaut Annie, « Peurs dans la ville, peurs de la ville », Histoire Urbaine, no 2, 2000, p. 5-7,
cf. p. 6 ; Touati François-Olivier, « Un mal qui répand la terreur ? Espace urbain, maladie et épidémies au Moyen Âge », Histoire Urbaine, no 2, 2000, p. 9-38, cf. p. 21.
33. Exbalin Arnaud, « Le grand massacre des chiens », Histoire urbaine, no 44, 2015, p. 107-124,
cf. p. 121.
34. « Ordonnance prescrivant les mesures à prendre pour se préserver de la maladie contagieuse régnant
à Huy », 18 octobre 1668, in Polain Mathieu-Lambert (éd.), ROPL, 2e série, vol. 3, op. cit.,
p. 337-338. Il s’agit d’une pratique qui risque de « contaminer » les eaux de la ville, raison pour
laquelle les autorités interdisent de déverser toute sorte de déchets dans les points d’eau. Voir par
exemple à ce sujet : « Ordonnance touchant le nettoiement des rues et l’enlèvement des immondices, à Liège », 14 mai 1689, in Polain Mathieu-Lambert (éd.), ROPL, 3e série, vol. 1, op. cit.,
p. 142-143.
114
QUE LA PESTE SOIT DE L’ANIMAL !
À Liège, « tous voisins des lieux infectéz debvront ens 24 heures peremptoirement tuer ou faire tuer leurs chiens et chats 35 ». Des prescriptions
similaires sont énoncées dans le Hainaut ainsi qu’à Bruxelles 36. Se débarrasser et se défaire de ses bêtes peut donc être synonyme d’exécution. Il est
néanmoins légitime de douter de l’obéissance des citadins à l’égard d’une
telle procédure les engageant à tuer leur animal. La question du manque de
respect de la population à l’égard des mesures promulguées se pose également au vu de la répétition des normes en période de peste 37. À Namur,
le règlement touchant la peste du 8 décembre 1634 est remis au goût du
jour dans les mêmes termes le 5 juillet 1636 du fait de la recrudescence de
l’épidémie 38. Le Magistrat constate en effet que les habitants se montrent
« mal affectionnés à l’observation des édits promulgués 39 ». Malgré les règlements, les autorités locales namuroises soupçonnent encore l’année suivante
plusieurs bourgeois de « retenir » dans leurs maisons des porcs, lapins ou
pigeons 40. Au regard de l’apport essentiel que représentent certains animaux
d’un point de vue alimentaire, notamment, il paraît difficile d’intervenir à
l’encontre de ceux-ci sans entraîner des réticences de la part de la population
urbaine. Cependant, cette répétition n’est aucunement synonyme d’une
désobéissance catégorique ni de l’inefficacité de la réglementation, bien au
contraire ; elle est la marque d’une police qui fait son travail, et qui se doit
de réitérer les édits afin de rafraîchir la mémoire de la communauté 41. Cette
redondance va en effet de pair avec celle des différentes vagues de l’épidémie tout au long du xviie siècle, suffisamment espacées dans le temps pour
justifier une réaffirmation de la législation.
Quant au sort des animaux coupables de divaguer sur la voie publique
malgré les normes édictées, ceux-ci sont notamment confisqués 42. Rares
sont toutefois les précisions permettant de saisir la portée de ce terme et
de savoir ce qu’il advient des bestiaux ainsi confisqués par les autorités. En
certaines circonstances, la bête saisie revient à l’individu ayant dénoncé le
35. AEL, Placards, 002579A, 27 octobre 1668.
36. Dugnoille Jean, « La peste à Ath et en Hainaut du xive au xviie siècle », in Épidémies et endémies
à Ath…, op. cit., p. 107 ; Charlier Jacques, op. cit., p. 62.
37. À Liège, des mandements similaires au contenu identique se répètent tout au long du xviie siècle :
en 1602, 1603, 1617, 1624 ou 1666, le législateur réitère dans les mêmes termes les dispositions à
prendre pour se protéger de la maladie contagieuse.
38. AEN, Ville de Namur, 48 bis, 5 juillet 1636, fo 30 vo.
39. Ibid., 20 septembre 1635, fo 34 ro.
40. Ibid., 8 décembre 1636, fo 37 ro.
41. Denys Catherine, « La police du nettoiement au xviiie siècle », Ethnologie française, no 153, 2015,
p. 411-420, cf. p. 414-416 ; ead., « “Afin que nul n’en prétexte cause d’ignorance” : quelques
éléments de réflexion sur la diffusion et la réception du droit dans les villes au xviiie siècle », in
Leduc Christophe (dir.), Droit et communication : dire, enseigner, publier, actes des journées internationales de la Société d’histoire du droit et des institutions des pays flamands, picards et wallons,
Douai-Arras, 9-11 mai 1997, Arras, Artois Presses Université, 2000, p. 99-117 ; Lemoyne des
Essarts Nicolas Toussaint, Dictionnaire universel de Police, t. 1, Paris, Chez Moutard, 1786, p. 311.
42. Le propriétaire a également une amende.
115
WILLIAM RIGUELLE
comportement illégal 43. Il arrive également que les cochons soient « redistribués » dans des établissements de bienfaisance, entre les pauvres ou les
hôpitaux, ce qui s’observe également en France 44. Aucune trace de fourrière
ni d’éventuel parc pour entreposer les bêtes capturées n’a cependant été
localisée.
Au-delà des interdictions promulguées par voie législative, des moyens
radicaux sont mis en place par les autorités de certaines localités pour lutter
contre l’errance des bêtes. Il s’agit parfois de mobiliser les citadins en les
autorisant à mettre à mort impunément tout animal vagabond, quel qu’il
soit – cochon, lapin, chat, chien, etc. – trouvé dans les rues. À Namur, à
l’instar de ce qui est d’application à Saint-Trond, Liège et Verviers, tous
les chiens et « bestes vagabondes » qui seront découverts abandonnés et
rodant dans la ville pourront être abattus 45. Prompts à divaguer dans tous
les coins à la recherche de nourriture, sources visibles de désordre, les
canidés constituent la cible principale du pouvoir. Vivant au contact de
l’homme, ceux-ci sont des êtres qui côtoient le miasme. Cet élément est
rappelé par Daniel Defoe dans son Journal de l’année de la peste : « Il fut
ordonné de tuer chiens et chats, et tous les animaux domestiques qui se
faufilent de maison en maison, de rue en rue, et peuvent ainsi véhiculer des
microbes 46 dans leur fourrure et dans leurs poils 47. » L’auteur précise qu’à
Londres, 40 000 chiens et cinq fois plus de chats sont exécutés en 1665 48.
Cette tâche, accomplie par des individus nommés expressément pour
abattre ces animaux, s’observe également dans plusieurs villes des Pays-Bas.
À Ath, Mons ou Douai, le Magistrat rétribue ainsi un « tue-chiens » dès
le Moyen Âge 49. Cette pratique perdure à l’époque moderne, même si la
43. « Cri du péron prescrivant aux habitants de Huy certaines mesures à prendre pour se préserver de la
peste », 7 juillet 1606, in Polain Mathieu-Lambert (éd.), ROPL, 2e série, vol. 2, op. cit., p. 279-281.
44. « Cri du péron prescrivant les mesures à prendre pour préserver de la peste », 8 octobre 1554,
in Polain Mathieu-Lambert (éd.), ROPL, 2e série, vol. 1, op. cit., p. 247 ; Croix Alain, « Le familier
et le sauvage : hommes et animaux au xviie siècle », op. cit., p. 381. L’utilité avérée des porcs pour
l’alimentation en période de peste contraste avec son image de nuisible.
45. AEN, Ville de Namur, 48 bis, 8 décembre 1636, fo 36 vo ; Bouche Pol, Contribution à l’étude des
épidémies dans la principauté de Liège. La peste à Dinant, Liège et Saint-Trond aux XVIe et XVIIe siècles,
mémoire de licence en histoire, inédit, université de Liège, année académique 2003-2004, p. 54 ;
« Ordonnance de police pour la ville de Verviers », 20 janvier 1780, in Polain Mathieu-Lambert
(éd.), ROPL, 3e série, vol. 2, op. cit., p. 845-847 ; « Ordonnance approuvant un règlement du
conseil de la cité, du 17 mai 1666, renouvelant et amplifiant les mandements antérieurs touchant
les incendies et la peste », 19 juillet 1666, in Polain Mathieu-Lambert (éd.), ROPL, 2e série, vol. 3,
op. cit., p. 317-324, article 11.
46. Le terme « microbe » employé par le traducteur n’apparaît pas comme étant vraiment opportun.
Le texte original mentionne : « the effluvia or infectious streams ».
47. Defoe Daniel, Journal de l’année de la peste, Paris/Bruxelles, Delforge, 1944 (1722), p. 144. Ce
récit de Daniel Defoe a été rédigé entre 1665 et 1772. La focalisation sur les chiens est également
au centre des propos de Jean-François Bresmal. Bresmal Jean-François, op. cit., p. 27. Voir aussi :
Jenner Mark, « The Great Dog Massacre », in Naphy William et Roberts Penny (éd.), Fear in
Early Modern Society, Manchester, Manchester University Press, 1997, p. 44-61.
48. Cité par Delumeau Jean, op. cit., p. 150.
49. Riguelle William, « Le chien dans la rue aux xviie et xviiie siècles. Le cas des villes du sud de la
Belgique », Histoire urbaine, no 47, 2016, p. 69-86 ; Delort Robert, « Les animaux dans la ville
116
QUE LA PESTE SOIT DE L’ANIMAL !
Figures 1 et 2. – Massue et baudrier des « Hondenslaegers » de la ville d’Anvers. Anvers,
Museum aan de Stroom, collection Vleeshuis, AV.2491.1-2 ; AV.2491.2-2, xviiie siècle.
Figure 3. – De Ridder Jean, eau forte, aux alentours de 1720 (musée Atlas Van Stolk,
Rotterdam). Le cartouche qui surmonte l’illustration recommande de tuer « tous les chiens
et tous les chats dans l’enclos commun et en dehors de celui-ci à une heure de marche
à la ronde ». Le lieu représenté est néanmoins inconnu. Extrait de Mollaret Henri H.
et Brossollet Jacqueline, « La peste, source méconnue d’inspiration artistique », op. cit.,
p. 3-112, cf. p. 30.
occidentale à la fin du Moyen Âge », in Villes, bonnes villes, cités et capitales, Caen, Paradigme, 1993,
p. 343-350, cf. p. 345. Pour la situation à la fin du Moyen Âge, voir : Mathieu Béghin, « Entre
le cœur de ville et les faubourgs. La place de l’animal en milieu urbain dans le nord de la France
aux xive et xve siècles », in Beck Corinne et Guizard Fabrice (dir.), Les animaux sont dans la place.
La longue histoire d’une cohabitation, actes des IVe rencontres internationales « Des bêtes et des
hommes » (Valenciennes, les 11 et 12 mai 2017), Amiens, Encrages, 2018 (à paraître).
117
WILLIAM RIGUELLE
charge est attribuée à d’autres employés municipaux, comme les bourreaux.
Dans la ville d’Anvers, notamment, de pareils massacres sont organisés :
« Afin de supprimer les mauvaises odeurs et les saletés provenant en partie
de la multitude des chiens qui ont souvent occasionné des maladies pestilentielles et contagieuses […] le bourgmestre, les Échevins, et le Conseil
de la Ville d’Anvers, ont désigné 3 personnes qui sont autorisées à abattre
les chiens rencontrés dans la rue […] 50. » Les illustrations ci-dessus représentent la massue et le baudrier des « Hondenslaegers » – ou abatteurs de
chien – de la ville d’Anvers. Le bâton permettant de frapper les animaux
est ferré, tandis que le baudrier constitue l’insigne de la fonction officiel de
son propriétaire. La qualité de ce dernier objet ainsi que l’inscription qui
y figure sont révélatrices de l’importance accordée par la ville d’Anvers à
l’élimination des animaux errants.
Quels animaux ?
Si les chiens, chats, porcs et, en moindre mesure, lapins et pigeons 51
figurent régulièrement dans le rang des nuisibles en période de peste,
d’autres espèces, comme les bêtes de boucherie, de somme ou de trait – tel
le cheval – ne sont par contre jamais ciblées 52. Les mesures préventives
restent donc sélectives et visent à stopper les ravages de la maladie sans
paralyser pour autant les activités économiques et interrompre le ravitaillement des villes 53. Le Traité de la peste qu’établit Isaac Quatroux en 1671 est
à ce propos éclairant : « Comme les animaux sont nécessaires à l’homme,
et qu’il ne convient pas dans le temps de peste de les tenir tous, il est à
propos de faire choix des plus utiles, comme sont les chevaux, les bœufs,
les vaches et les moutons, et pour les volatils, les poulles et les pigeons, et
éloigner des Villes tous les autres comme estant très sales et immondes et
peu utiles […] 54. » Selon l’auteur, deux critères principaux président donc
à l’éloignement de certains animaux : l’inutilité et la saleté. La référence au
sale et aux mauvaises odeurs revient fréquemment dans les documents législatifs : les chiens, chats, pigeons, porcs et lapins sont des bêtes desquelles
50. Ordonnance datée de 1657. Huyghebaert Louis, op. cit., p. 145.
51. AEN, Ville de Namur, 48 bis, 8 décembre 1636, fo 37 ro ; « Cri du péron prescrivant aux habitants
de Huy certaines mesures à prendre pour se préserver de la peste », 7 juillet 1606, in Polain
Mathieu-Lambert (éd.), ROPL, 2e série, vol. 2, op. cit., p. 279-281, article 6.
52. Ces animaux sont justement ceux qui contractent très rarement la peste. Le cheval, le bœuf, la
chèvre ou le mouton n’ont en effet pas de puce – celle-ci étant repoussée par leurs odeurs. Jean-Noël
Biraben, 1976, t. 1, op. cit., p. 15. Il arrive néanmoins que la chèvre et le mouton soient ciblés
et désignés comme des animaux sales. « Ordonnance prescrivant les mesures à prendre pour se
préserver de la maladie contagieuse régnant à Huy », 18 octobre 1668, in Polain Mathieu-Lambert
(éd.), ROPL, 2e série, vol. 3, op. cit., p. 337-338, article 4.
53. Croix Alain, La Bretagne aux XVIe et XVIIe siècles. La vie, la mort, la foi, t. 1, Paris, Maloine, 1981,
p. 474.
54. Quatroux Isaac, op. cit., p. 34-35.
118
QUE LA PESTE SOIT DE L’ANIMAL !
« on pourrait recevoir immondices et puanteurs 55 ». L’absence d’avantages
procurés par certains animaux justifie également leur mise à l’écart ou leur
exécution. C’est principalement le cas des chiens et des chats, dont les
bienfaits sont jugés minimes par rapport au danger sanitaire que représente
leur errance 56.
Ces mesures sont-elles efficaces lorsqu’on interroge la médecine actuelle ?
Au regard des connaissances acquises depuis le xixe siècle sur les mécanismes
du fléau, écarter ou tuer les animaux semble vain. Si la puce du rat transmet
la peste – principalement celle du rat noir, appelée Xenopsylla cheopis – ce
n’est pas, ou très exceptionnellement, le cas de celle d’autres animaux. En
effet, même si les puces sont sans conteste le vecteur de la maladie, les
entomologistes en répertorient plus de 2 000 espèces qui sont généralement inféodées à une – ou parfois plusieurs – espèces de mammifères ou
d’oiseaux. Ainsi, à quelques exceptions près, la puce du chat ne vit que sur
le chat, celle du lapin que sur le lapin, etc. La puce du chat et du chien par
exemple – Ctenocephalides felis – pique l’homme, mais ne transmet habituellement pas la maladie 57. De plus, aucune chasse aux rats n’est organisée
dans les villes des Pays-Bas et de la principauté de Liège – les règlements
ne mentionnent cet animal que de manière extrêmement rare –, et la mise
à l’écart presque systématique des chats prive les citadins d’un prédateur
pour s’en débarrasser. Même si les normes à l’égard des animaux morts font
partie des mesures hygiéniques, elles ne contribuent pas non plus à éviter
la prolifération des rats noirs, majoritaires au xviie siècle, qui possèdent un
régime alimentaire essentiellement végétal.
Conclusion
L’animal urbain est un élément de l’organisation sociale 58. Il fait partie
d’une communauté et se voit attribuer une place dans la ville qui peut
être remise en question en certaines circonstances. Au xviie siècle, la peste
est l’une de ces circonstances. Dans un contexte où les miasmes véhiculés
par les animaux ou produits par leurs excréments ou leurs cadavres sont
jugés néfastes, l’épidémie transforme certains d’entre eux en êtres nuisibles,
leur confère ce statut en les intégrant au lot de mesures prophylactiques
adopté par les autorités. Cette stigmatisation de l’animal errant et la place
55. « Ordonnance prescrivant les mesures à prendre pour se préserver de la maladie contagieuse régnant
à Huy », 18 octobre 1668, in Polain Mathieu-Lambert (éd.), ROPL, 2e série, vol. 3, op. cit.,
p. 337-338, article 4.
56. Cette question de l’utilité de l’animal urbain, au cœur de la thématique des nuisibles, nécessiterait
d’être approfondie par des enquêtes plus larges. Les nuances sont en effet multiples, liées aussi bien
au seuil de tolérance différent en période d’épidémie qu’aux particularités au sein d’une même
espèce – certains chiens sont par exemple considérés comme plus nuisibles que d’autres en fonction
de leur race ou de leur état sanitaire.
57. Vitaux Jean, Op. cit., p. 109, 113, 115, 117 ; Biraben Jean-Noël, 1976, t. 1, op. cit., p. 13.
58. Blanc Nathalie, Les animaux et la ville, Paris, Odile Jacob, 2000, p. 43.
119
WILLIAM RIGUELLE
de nuisible qui lui est attribuée en période de peste constituent une étape
importante dans la régulation et la mise à l’écart progressive de l’animal
dans les villes.
La législation dans les Pays-Bas et la principauté de Liège s’inscrit
dans ce qui est observable en France ou en Angleterre 59. Il s’agit d’éviter
le vagabondage de plusieurs espèces et de contraindre leurs déplacements
par leur expulsion hors de la ville ou leur exécution. L’analyse des normes
promulguées sur le territoire actuel de la Belgique a néanmoins permis de
mettre à jour plusieurs nuances. Tout d’abord, la présence animale n’est
parfois pas totalement bannie pour les citadins disposant d’un espace
suffisant ou tenant leurs chiens, chats ou poules enfermés ou attachés. Les
normes se montrent également sélectives parmi les animaux, laissant de côté
les chevaux et le bétail – même si la place de ce dernier est plus ambiguë –
et ciblant particulièrement les chiens. Enfin, notons que les tueries menées
à l’encontre de plusieurs espèces sont susceptibles de s’opérer de manière
informelle par les habitants eux-mêmes, qui disposent de l’autorisation
dans certaines localités de tuer impunément toute bête vagabonde trouvée
dans les rues.
BIBLIOGRAPHIE
Sources
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59. Voir notamment : Mollaret Henri H. et Brossollet Jacqueline, « La peste, source méconnue
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123
WILLIAM RIGUELLE
ANNEXE
124
Représentation de Namur, Liège, Bruxelles, Anvers, Mons et Ath. Du Val Pierre, Provinces méridionales des Pays-Bas connues
sous le nom de Flandres, autrement les Pays-Bas catholiques, avec les conflus de France, d’Allemagne et de Hollande, 1672,
consulté en ligne sur gallica.bnf.fr (page consultée le 8 juin 2017).
D
epuis plus d’un siècle la notion de « nuisible » fait l’objet d’une
contestation de plus en plus vive. Pourtant celle-ci connait une
singulière persistance sociale car « nuisible » n’est pas seulement un
qualificatif que l’homme choisit d’appliquer à telle ou telle espèce mais bien
un concept opérationnel qui lui donne une certaine légitimité pour la gérer,
et souvent, la détruire.
À l’heure où la France vient d’adopter la loi sur la reconquête de la
biodiversité, la question des « nuisibles » reprend une singulière acuité avec
la multiplication et l’expansion de nouvelles espèces exotiques
envahissantes, telles que le moustique tigre (Aedes albopictus), potentiel
vecteur du virus Zika, transmissible à l’homme, le frelon asiatique (Vespa
velutina), destructeur de ruches, l’écureuil gris (Sciusrus carolinensis), qui
pourrait s’implanter au détriment de l’écureuil roux (Sciurus vulgaris) ou
encore l’ambroisie (Ambrosia artemisiifolia), plante fortement allergisante. Il
faut aussi relever les vives controverses qui demeurent autour de la
cohabitation du loup et de l’élevage, et les critiques qui sont de plus en plus
documentées sur les risques, pour la santé, de l’utilisation des insecticides
pour lutter contre les insectes ravageurs et l’emploi des herbicides. Si la
notion de « nuisible » demeure centrale dans la gestion du sauvage par nos
sociétés, elle s’avère très variable selon l’époque, l’espèce, le territoire ou le
groupe social considéré.
Afin de dresser un état de la recherche, d’historiciser cette notion et
d’éclairer les enjeux actuels, le colloque se propose de croiser les regards
afin de caractériser les différentes conceptions de la notion de « nuisible »
qui coexistent actuellement et d’en retracer les origines, tout en s’ouvrant
aux acteurs du présent. Il entend ainsi contribuer à éclairer les relations et
interactions entre les sociétés et la nature, et permettre de mieux saisir leurs
coévolutions.
1re page. J. R. BRASCASSAT, Le Loup, 1839, Musée de la chasse et de la nature, dépôt du musée des Beaux-Arts de Nantes (cliché Sylvie Durand) et
Jussie rampante (Ludwigia peploïdes), Vert-le-Grand (Le Guichet).
Colloque « Sales bêtes ! Mauvaise herbes ! « Nuisible », une notion en débat »
Livret des résumés
2
PROGRAMME & SOMMAIRE
MARDI 31 JANVIER 2017
8h30
Accueil .................................................................................................................... 5
9h
Ouverture ............................................................................................................... 5
Par Nicolas FORRAY
9h30
Conférence inaugurale ........................................................................................... 5
Des êtres nuisibles, ou des gêneurs dans la communauté biotique ?
Par André MICOUD
10h15 Thème 1. Nuisible, une notion historiquement évolutive ..................................... 5
Les forestiers et les insectes dits « nuisibles » depuis 1800. Des ravageurs aux bioindicateurs ... 5
Par Laurent LATHUILLIERE
Du statut de nuisible à celui d'espèce protégée. La loutre en Belgique de la fin du XIXe siècle à
nos jours ................................................................................................................................................... 6
Par Sarah BESLAGIC
Un problème de sécurité publique révélateur des sociétés. La gestion du loup de l’Antiquité au
e
XXI siècle ................................................................................................................................................. 7
Par Jean-Marc MORICEAU
11h30 Thème 2. Le nuisible dans la loi ............................................................................ 7
Le législateur français a-t-il peur des nuisibles ? ................................................................................. 7
Par Aline TREILLARD
Réglementation relative au classement et aux modalités de destruction des animaux d'espèces
non domestiques classés en tant que « nuisibles » : point d'actualité et perspectives .................... 8
Par Julien Astoul-Delseny
Le nuisible, une catégorie juridique. Logiques et paradoxes d'une législation de la destruction
des nuisibles (fin XIXe°-début XXe siècle) ............................................................................................. 8
Par Renaud BUEB
14h30 Thème 3. Définir scientifiquement le nuisible ? ................................................... 9
Nuisibles d’hier et d’aujourd’hui. Le lapin, le flamant et le sanglier dans le delta du Rhône ....... 9
Par Raphaël MATHEVET et Anthony OLIVIER
Les données écologiques disponibles dans le cadre de la procédure de classement des espèces10
Par Sandrine RUETTE et Murielle GUINOT-GHESTEM
Pourquoi les mammifères seraient-ils nuisibles ? ............................................................................. 10
Par Christian ARTHUR, Stéphane AULAGNIER, Patrick HAFFNER, Virginie MUXART et François
MOUTOU
16h
Table-ronde. Vivre avec les « nuisibles » ? ........................................................... 11
Avec Jean-Jacques FRESKO (modérateur), Benoît CHEVRON, Geneviève GAILLARD, François
MOUTOU, Baptiste MORIZOT et Jean-Philippe SIBLET
Colloque « Sales bêtes ! Mauvaise herbes ! « Nuisible », une notion en débat »
Livret des résumés
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MERCREDI 1ER FEVRIER 2017
9h
Thème 4. Les espèces exotiques sont-elles nuisibles ? ........................................ 12
Lorsque les nuisibles sont étrangers. La construction historique de la notion d'espèces
introduites ou envahissantes et son rapport à celle de nuisible ...................................................... 12
Par Valérie CHANSIGAUD
Espèce nuisible, espèce invasive : des statuts publics dans la succession des lectures du monde.
Le cas de l'ajonc d'Europe (Ulex europaeux) sur l'île de La Réunion .............................................. 12
Par Nathalie UDO, Catherine DARROT et Anne ATLAN
De l'ibis sacré à l'ibis nuisible. Espèce invasive, résurgence de la notion de nuisible par
principe ? ................................................................................................................................................ 13
Par Loïc MARION et Farid BENHAMMOU
Des lapins de garenne dans les grands parcs urbains de la Seine-Saint-Denis. Historique d'une
gestion ..................................................................................................................................................... 14
Par Léo MARTIN
11h
Thème 5. Les nuisibles dans les campagnes ........................................................ 15
Les animaux nuisibles dans les campagnes du haut Moyen Âge .................................................... 15
Par Fabrice GUIZARD
Les friches : des espaces nuisibles ? .................................................................................................... 16
Par Rémi BEAU
Les nuisibles, symboles inamovibles de l'utilitarisme agricole ? ..................................................... 16
Par Rémi FOURCHE
Dites-nous qui vous détestez et nous vous dirons qui vous êtes. Les ruraux face à leurs
nuisibles .................................................................................................................................................. 17
Par Guillaume MARCHAND, Florent KOHLER, Chloé THIERRY et Philippe LENA
14h30 Thème 6. Quelles sources pour construire de nouveaux regards ? ...................... 18
Animaux et plantes nuisibles selon les inventaires des Archives nationales : de l'évolution du
champ lexical à la mise en Histoire ..................................................................................................... 18
Par Geneviève PROFIT
Les renards face à la rage (France, 1968-1998) ................................................................................. 18
Par Nicolas BARON
Que la peste soit de l’animal ! La législation à l’encontre des animaux en période d’épidémies
dans les villes des Pays-Bas méridionaux et de la principauté de Liège (1600-1669) .................. 19
Par William RIGUELLE
15h45 Thème 7. Le nuisible et la mer ............................................................................ 20
De la nuisibilité à la patrimonialité en milieu marin. L'histoire d'une ambiguïté entretenue ..... 20
Par Patrick LE MAO, Nicolas DESROY, Jérôme FOURNIER, Laurent GODET et Éric THIEBAUT
Quel nuisible en milieu « hostile » ? Le cas du marin pêcheur hauturier, dernier chasseur
cueilleur moderne .................................................................................................................................. 21
Par Jérémie BRUGIDOU et Fabien CLOUETTE
Genèse et métamorphoses du nuisible. Animaux marins et sociétés occidentales
(XVIIe-XXIe siècle) ................................................................................................................................... 22
Par Daniel FAGET
Conclusion .......................................................................................................................... 22
Par Jacques WINTERGERST
Comité scientifique ............................................................................................................ 23
Comité d’organisation ........................................................................................................ 23
Informations pratiques ....................................................................................................... 23
Colloque « Sales bêtes ! Mauvaise herbes ! « Nuisible », une notion en débat »
Livret des résumés
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MARDI 31 JANVIER 2017
8h30
9h
Accueil
Ouverture
Par Nicolas FORRAY
Ingénieur général des ponts, des eaux et des forêts, président de la section milieux, ressources et risques au
Conseil général de l’environnement et du développement durable
9h30
Conférence inaugurale
DES ETRES NUISIBLES, OU DES GENEURS DANS LA COMMUNAUTE BIOTIQUE ?
Par André MICOUD
Sociologue. Directeur de recherche honoraire du CNRS (Centre Max Weber)
10h15 Thème 1
Nuisible, une notion historiquement évolutive
Modérateur : Rémi LUGLIA
Historien. CRHQ et Pôle Rural – université de Caen Normandie
LES FORESTIERS ET LES INSECTES DITS « NUISIBLES » DEPUIS 1800
DES RAVAGEURS AUX BIOINDICATEURS
Par Laurent LATHUILLIERE
Réseau entomologie de l’Office national des forêts
Durant des siècles, les forestiers ont été attentifs aux dégâts causés aux arbres et aux forêts par les insectes
xylophages ou phytophages, considérés comme des « nuisibles » ou des « ravageurs » pour le patrimoine forestier dont ils
avaient la responsabilité et la garde. Certaines espèces ont été particulièrement étudiées et surveillées en raison des
dépréciations importantes des grumes, ou des conséquences sur la vitalité des boisements qu’elles peuvent occasionner.
Au-delà de la connaissance (identification et biologie), les forestiers ont cherché à mettre en place des techniques de
lutte, passant par le piégeage tout d’abord, puis la lutte biologique. Les techniques ont évolué (notamment avec
l’avènement des produits chimiques) mais la plupart sont toujours utilisées de nos jours dans la lutte « sanitaire » avec
plus ou moins de succès et de pertinence.
Les connaissances de l’écologie des espèces mais aussi des écosystèmes forestiers ont également évoluées,
comme le montrent diverses publications techniques depuis 1800, et les forestiers ont pris conscience que les insectes
dits « nuisibles » participaient au fonctionnement des milieux, et avaient leur place dans les biocénoses, notamment au
sein des chaînes trophiques et fonctionnelles.
Par ailleurs, les techniques de recherches et d’inventaires des insectes ont récemment connu des innovations
déterminantes dans l’étude de certains cortèges – saproxyliques notamment - considérés désormais comme
« biodindicateurs » de la qualité des forêts françaises. Ainsi certaines espèces de « nuisibles » sont devenues patrimoniales,
et pour certaines légalement protégées, ce qui n’est pas sans provoquer quelques cas de conscience (exemple avec le
grand capricorne et le chêne) pour les forestiers chargés de conjuguer les fonctions de production et de préservation de
l’environnement.
Les forestiers ont depuis longtemps pratiqué une véritable chasse à une partie de l’entomofaune forestière.
Cette dernière présente de multiples similitudes avec la chasse dont il est communément question (et qui elle s’intéresse à
d’autres espèces également considérées comme « nuisibles »), tant par la diversité des techniques employées (pièges,
chasse à vue, à l’odeur, au filet, à l’affût etc.), que par la nature du gibier (lucane cerf-volant, scarabée rhinocéros) ou
encore le devenir du « gibier » ainsi chassé (trophée, collection, consommation).
Nous proposons un voyage au milieu des insectes forestiers depuis deux siècles, en illustrant les évolutions tant
des techniques que des enjeux de « gestion » des espèces, mais aussi des concepts et des perceptions socio-culturelles et
économiques des insectes forestiers dits « nuisibles ».
Plan de l’intervention
1. Introduction : relations historiques entre les forestiers et les insectes forestiers
2. Les insectes forestiers : des « ravageurs » des arbres et des forêts (connaissance, information, chasse, lutte)
3. Les insectes dans l’écosystème forestier : un maillon essentiel, nécessaire, indispensable et patrimonial
4. Les insectes bioindicateurs de la qualité des forêts : toujours « chassés » mais pour les préserver !
5. Synthèse et perspectives
Colloque « Sales bêtes ! Mauvaise herbes ! « Nuisible », une notion en débat »
Livret des résumés
5
ABGRALL, J.-F. et SOUTRENON, A. 1991. La forêt et ses ennemis. Ed. CEMAGREF, Grenoble. 400 p.
Administration des Eaux et forêts. Circulaires de l’administration forestière de 1820 à 1937.
AGUILAR (d’), Jacques. 2006. Histoire de l’entomologie, Delachaux et Niestlé, Paris. 224 p.
BRUSTEL, H. 2004. Coléoptères saproxyliques et valeur biologique des forêts françaises. Les dossiers forestiers n°13. ONF. 297 p.
CHANSIGAUD, Valérie. 2013. L’homme et la nature, une histoire mouvementée. Ed. Delachaux et Niestlé, Paris. 272 p.
DAJOZ, Roger. 1998. Les insectes et la forêt. Coll. Tec & Doc, Ed. Lavoisier, Paris. 594 p.
GUINIER, P. et OUDIN, A. et SCHAEFFER, L. 1947. Technique forestière. Ed. La Maison Rustique, Paris. 376 p.
Société Dendrologique de France. 1923. Notes sur quelques insectes nuisibles aux arbres forestiers. Protat, 71 Macon. 52 p.
VELLE, Laurent. 2012. Inventaire des Coléoptères saproxyliques dans la Forêt Domaniale des Colettes (F-03). Rapport d’étude.
DREAL Auvergne & Réseau entomologie de l’Office National des Forêts. 76 p.
DU STATUT DE NUISIBLE A CELUI D'ESPECE PROTEGEE
LA LOUTRE EN BELGIQUE DE LA FIN DU XIXE SIECLE A NOS JOURS
Par Sarah BESLAGIC
Archéozoologue. PolleN, université de Namur
Dans le contexte actuel de préservation de la biodiversité – en particulier de biodiversité animale – de plus en
plus de recherches axées sur l’évolution de la répartition des espèces, basées sur des données historiques, viennent
apporter un éclairage nouveau sur l’histoire des relations entre l’homme et l’animal, mais également sur la façon dont les
animaux ont été perçus par le passé.
Face à l’inquiétude provoquée par la perte de cette biodiversité, on assiste aujourd’hui à la mise en place de
mesures de conservation et de restauration des habitats naturels de certaines espèces animales. En Belgique, la loutre fait
partie des animaux pour lesquels un projet LIFE-Nature « Restauration des habitats de la loutre » (Life
05/NAT/B/000085) a été mis en place entre 2005 et 2011. Il visait à restaurer les capacités d’accueil de certains bassins
hydrographiques notamment en Wallonie et au Grand-Duché de Luxembourg. Aujourd’hui, le plan transnational Loutre
2011-2021 est en œuvre pour permettre l’accueil des populations de loutres dans ces régions (NEDERLANDT et al., 2011).
La loutre, une espèce autochtone en Wallonie, était présente en grand nombre il y a encore quelques centaines
d’années sur les rivières belges (LIBOIS et HALLET, 1995). À l’heure actuelle, cette espèce a quasiment disparu.
Cette étude, axée sur la Belgique, a pour objectifs (i) de dresser un état des lieux de la répartition de la loutre
depuis le XIXe siècle, (ii) d’évaluer l’importance des prélèvements effectués sur les populations de loutres, considérées
alors comme des animaux nuisibles, et (iii) de comprendre comment s’est opérée la transition de son statut, de celui
d’espèce nuisible à la fin du XIXe siècle à celui d’espèce protégée depuis une quarantaine d’années. La méthodologie mise
en œuvre repose sur l’exploitation de divers documents historiques, notamment les revues naturalistes belges du
XIXe siècle, ainsi que des données de captures issues des anciennes revues de pêche.
Les données analysées montrent que la loutre était largement répandue sur la plupart des cours d’eau en
Belgique jusqu’à la fin du XIXe siècle, période au cours de laquelle un arrêté royal, daté du 9 juillet 1889, autorisa et
encouragea la lutte contre cette espèce aquatique (KLEIN, 1890). Dans le cadre d’une politique de repeuplement des
rivières initiée par l’État, la loutre a été considérée comme un nuisible portant atteinte aux efforts engagés pour préserver
les stocks de populations piscicoles. À partir de cette date, jusqu’au milieu du XXe siècle, la loutre n’a plus connu aucun
répit, et ses effectifs ont décliné de façon drastique sur le territoire belge.
Pour les pêcheurs, la loutre a toujours représenté un terrible concurrent (BECK, 2008). Principalement
piscivore, la loutre pouvait manger, disait-on alors, jusqu’à 3 kg de poisson par jour (QUIEVY, 1907). Même si
l’estimation a été grandement exagérée, la loutre est apparue comme un terrible prédateur aux yeux d’une partie de la
société à l’époque, un véritable nuisible (DUBOIS, 1893). Nous montrerons, à l’aide des relevés de captures couvrant la
période comprise entre 1889 et 1920, quelle a pu être l’ampleur des mesures d’extermination qui ont été prises, et les
impacts que cela a pu avoir sur la dispersion de cette espèce.
En 1965, le système de prime à la loutre, qui avait été institué en 1889, a été supprimé, et l’autorisation de
chasse levée quelques années plus tard. La loutre acquiert ainsi, en 1973, le statut d’espèce protégée via la loi de
Conservation de la nature. Pourquoi un tel revirement alors que jusque dans les années 1950, on mentionnait encore, çà
et là, des captures de loutres sur les rivières belges ? Plus qu’une espèce protégée, la loutre est désormais une espèce dont
on espère le retour sur les rivières belges. Des mesures visant à favoriser sa réintroduction sont prises depuis quelques
dizaines d’années. Comment son statut est-il passé, en quelques années seulement, de celui de nuisible à celui d’espèce
protégée ? Et comment cela est-il perçu et vécu par nos contemporains ?
BECK, C., (2008) La loutre en Bourgogne à la fin du Moyen Âge in : Les eaux et forêts en Bourgogne ducale (vers 1350-1480).
Société et biodiversité, Paris : l’Harmattan, pp. 337-355.
DUBOIS, A. (1893) Les animaux nuisibles de la Belgique: histoire de leurs mœurs & de leur propagation : mammifères, oiseaux & reptiles
KLEIN (1890) (1890) La loutre. Moeurs, chasse, destruction, Louvain : imp. Aug. Fonteyn, 21p.
Colloque « Sales bêtes ! Mauvaise herbes ! « Nuisible », une notion en débat »
Livret des résumés
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LIBOIS, R. et HALLET, C., (1995) Situation actuelle de la loutre, Lutra lutra, en Belgique, et problématique de sa
conservation, Cahiers d’Éthologie, 15(2-3-4), pp. 157-168.
NEDERLANDT, N. et al., (2011) Plan Loutre 2011-2021 en Wallonie et au Grand-Duché de Luxembourg, 75p.
QUIEVY, P. (1907) La destruction des loutres en Belgique, Pêche et Pisciculture, 18(19) : 241-244.
UN PROBLEME DE SECURITE PUBLIQUE REVELATEUR DES SOCIETES.
LA GESTION DU LOUP DE L’ANTIQUITE AU XXIE SIECLE
Par Jean-Marc MORICEAU
Historien. CRHQ et Pôle Rural – université de Caen Normandie
Longtemps la lutte contre le loup a été vécue comme un baromètre du progrès de la civilisation. Le loup a été le
seul animal sauvage à susciter chez l’homme autant d’énergie pour le réguler. Depuis les lois de Solon au VIe s. avant J-C,
les sociétés ont forgé une réglementation spécifique pour le contenir, le pourchasser, puis l’exterminer. Pour s’en
protéger les pouvoirs publics ont mis en place un arsenal répressif sans équivalent. Ils lui ont même dédié une institution,
qui prétend remonter à Charlemagne, et qui subsiste toujours : la louveterie. Alors que la chasse était l’attribut des
privilégiés, le danger causé par le canidé a occasionné des exceptions à l’interdiction du port d’armes. Il a suscité des
réquisitions à des battues collectives encouragées même par les autorités à l’échelon national depuis 1583. Et surtout il a
suscité une politique de primes de destruction dont on peut mesurer les modulations et la généralisation selon de
multiples facteurs : le degré de vulnérabilité ressenti à l’égard du loup ; l’état de la sécurité publique ; les capacités
financières des autorités compétentes ; l’importance de la centralisation administrative ; les choix des dirigeants. Autour
du loup se sont cristallisées des rancœurs sociales et des conflits de compétence, résultant des antagonismes dans les
styles de vie, les modes d’occupation de l’espace et les singularités de gestion administrative. Passé la loi de 1882, la
IIIe République a mis en place une politique d’éradication qui, du point de vue des sociétés humaines, a réussi dans
l’Entre-deux-guerres. Après un combat mené depuis plus de 2 000 ans, l’homme a eu raison du canidé sauvage jusqu’à
une inversion des options idéologiques qui ont été les siennes et du statut de l’animal dans la seconde moitié du XXe s.
11h30 Thème 2
Le nuisible dans la loi
Modérateur : Jérôme FROMAGEAU
Historien du droit de l’environnement. Université Paris-XI
LE LEGISLATEUR FRANÇAIS A-T-IL PEUR DES NUISIBLES ?
Par Aline TREILLARD
Doctorante en droit public. OMIJ-CRIDEAU – université de Limoges
Juridiquement, la catégorie des nuisibles regroupe les espèces nuisibles, les bêtes fauves et les organismes
nuisibles1. Ces trois dénominations distinctes illustrent toutefois une seule conception du rapport de l’homme à la
nature, un rapport anthropocentrique imprégné d’une volonté de domination du premier sur la seconde. L’émergence de
la catégorie des espèces nuisibles en droit français est à rechercher dans le droit de la chasse dès le Moyen-âge et connaît
son apogée après la Révolution française. Son maintien dans l’ordre juridique a des fondements davantage sociaux que
scientifiques. Cette notion renvoie à un sentiment originel de crainte de la nature sauvage. L’exemple actuel de la
règlementation permissive en matière d’élimination du loup est illustratif du conflit entre représentations sociales et réel
écologique qui est au cœur de la problématique des nuisibles. Les conséquences de ce conflit et la législation qui en est
issue sont désastreuses.
Dans un premier temps, l’analyse aura pour but de démontrer que le législateur français porte un double
discours sur les espèces nuisibles qui met en lumière les blocages d’une évolution juridique attendue. D’une part, le
législateur adopte une position défensive, autrement dit porte un discours juridique sur les espèces nuisibles dès lors
qu’elles sont susceptibles d’être menaçante pour l’être humain (sur le plan de la santé, de la sécurité publique, de l’activité
agricole ou de la propriété). Dès lors, il organise les conditions de « destruction » des nuisibles qui peut être réalisée soit
par les particuliers, qui bénéficient d’un réel droit de légitime défense sur leur propriété, soit par l’administration qui
intervient au nom d’un certain ordre public. En l’espèce, si la menace constitue le fondement juridique de l’intervention
normative, elle est combinée à un critère quantitatif qui semble effrayer le législateur qui préfère détruire plutôt que
réguler. D’autre part, le législateur adopte une position offensive qui se manifeste à travers un vide juridique quasicomplet envers certaines espèces. Ces nuisibles du droit sont ignorés car leur prise en compte conduirait à remettre en
cause la construction classiquement anthropomorphique du droit de la protection de la nature qui conduit à cette
catégorisation péjorative.
Anciennement dénommé « fléaux des cultures », dont le régime juridique est prévu aux articles L251-3 à L251-11 du Code rural et de la pêche
maritime. Quant aux espèces nuisibles et aux bêtes fauves, il faut se référer aux Chapitre 7 du Titre II du Code de l’environnement dénommé.
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Colloque « Sales bêtes ! Mauvaise herbes ! « Nuisible », une notion en débat »
Livret des résumés
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Dans un second temps, cet article aura pour but de démontrer que la catégorie des espèces nuisibles et les
notions qui s’y rattachent ne sont plus pertinentes pour notre ordre juridique. L’analyse de l’évolution des connaissances
scientifiques notamment la démécologie2, du droit international et du droit de l’Union Européenne viendront confirmer
cette position3. À cela s’ajoutent, les notions plus récentes de services écosystémiques, d’espèces exotiques envahissantes
et le concept de nature ordinaire qui renouvellent complètement la lecture du sauvage et des espèces évoluant dans les
milieux anthropisés.
BILLET P., « DAISIE et les envahisseurs. Premier inventaire des espèces invasives en Europe », Revue Environnement,
n°3, mars 2008, p.2.
CANS C. et de KLEMM C., « Un cas d’irréversibilité : l’introduction d’espèces exogènes dans le milieu naturel », Revue
juridique de l’environnement, n° spécial 1998, p.101 à 124.
DELFOUR O., « Histoire de la conservation des espèces », in CORNU M. et FROMAGEAU J. (éd.), « Genèse du droit
de l’environnement », Volume II, L’Harmattan, 2001, p.245 à 258.
JOLIVET S., « L’évolution de la notion d’espèce nuisible sous l’influence du droit de l’environnement », Mémoire de
Master 2 sous la direction de Jessica MAKOWIAK, Université de Limoges, 2008-2009, 121p.
De KLEMM C., « L’indemnisation des dommages causés par la faune sauvage », Conseil de l’Europe, collection
Sauvegarde de la nature, n°84, 1996.
De MALAFOSSE J. « Droit de la chasse et protection de la nature », PUF, Paris, 1979.
MICOUD A., LANEYRIE P., CHANTREL C., « Les animaux dits nuisibles : essai sur l’évolution récente d’une
notion », compte-rendu de recherches pour le ministère de l’environnement, SRETIE-CNRS, 1989.
NAIM-GESBERT E., « Les dimensions scientifiques du droit de l’environnement », Bruylant, 1998.
OST F., « La nature hors la loi : l’écologie à l’épreuve du droit », La Découverte, 2003.
REMOND-GOUILLOUD, « Ressources naturelles et choses sans maître », in EDELMAN B. et HERMITTE M.A.,
« L’homme, la nature et le droit », Christian BOURGEOIS (éd.), 1988, p.219 à 203.
REGLEMENTATION RELATIVE AU CLASSEMENT ET AUX MODALITES DE
DESTRUCTION DES ANIMAUX D'ESPECES NON DOMESTIQUES CLASSES EN TANT
QUE « NUISIBLES » : POINT D'ACTUALITE ET PERSPECTIVES
Par Julien ASTOUL-DELSENY
Adjoint au chef du bureau de la chasse et de la pêche en eau douce, direction de l'eau et de la biodiversité,
MEEM
LE NUISIBLE, UNE CATEGORIE JURIDIQUE. LOGIQUES ET PARADOXES D'UNE
LEGISLATION DE LA DESTRUCTION DES NUISIBLES (FIN XIXE°-DEBUT XXE SIECLE)
Par Renaud BUEB
Historien du droit. Université de Franche-Comté)
Un colloque sur les nuisibles ne saurait faire l'impasse sur la dimension juridique de la question. La destruction
des animaux nuisibles et malfaisants est une matière d'intérêt privé et général. L'homme protège sa vie et sa propriété.
Dans la société traditionnelle rurale, l'animal est très présent. La puissance publique, garante de la sécurité et du bienêtre, se doit aussi d'intervenir. Dès l'ancien régime, elle organise la chasse au loup, figure symbolique du nuisibles. Mais
d'autres animaux menacent l'homme, pas forcément dans sa vie, mais dans ses conditions de vie et ses richesses, la
première étant l'agriculture. Les oiseaux picorent les semences, les pigeons polluent les fontaines, les lapins sabotent les
terres, champs et forêts, etc. Une multitude d'animaux, grands et petits, détériorent les cultures, et s'attaquent à leurs
congénères domestiqués. Certes, le monde animal a ses règles et s'autorégule, mais il est l'objet des règles de l'homme,
afin de faire le partage de la sauvagerie acceptée et celle qui ne l'est pas. Ce sera l'affaire du droit rural, du droit de la
chasse, mais aussi des législations spéciales (loi du 3 août 1882 sur la destruction des loups, loi de 1907 sur la destruction
des corbeaux et des pies). L'administration décide des battues, autorise la chasse, la destruction, les protections, établit
des nomenclatures générales et locales, habilite de nombreux intervenants, le propriétaire, la commune, les chasseurs, les
agents forestiers à chasser et détruire. Mais rien n'est simple, le nuisible d'un jour peut être l'utile du lendemain. La
science et les naturalistes s'en mêlent. Il faut non seulement trouver un équilibre à la nature, mais aussi aux intérêts
divergents des hommes. La communication présentera donc l'émergence d'un droit des nuisibles à la charnière des XIXe
et XXe siècles.
La démécologie est l’étude des populations, elle étudie les mécanismes de variations des populations.
Il s’agit notamment de la Convention sur la Diversité Biologique de 1992, de la notion de bon état écologique présente par exemple dans la
convention de Bonn, de Berne, dans la directive Oiseaux, la DCE…
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Colloque « Sales bêtes ! Mauvaise herbes ! « Nuisible », une notion en débat »
Livret des résumés
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14h30 Thème 3
Définir scientifiquement le nuisible ?
Modérateur : Isabelle ARPIN
Sociologue. IRSTEA Grenoble
NUISIBLES D’HIER ET D’AUJOURD’HUI.
LE LAPIN, LE FLAMANT ET LE SANGLIER DANS LE DELTA DU RHONE
Par Raphaël MATHEVET
Écologue et géographe. CEFE UMR 5175, Montpellier
et Anthony OLIVIER
Garde-technicien de la Réserve Naturelle Régionale, Institut de recherche de la Tour du Valat, Arles
Cette communication propose une approche historique et socio-écologique de la notion de nuisible, à travers
l’analyse comparée de trois espèces animales qui alimentent régulièrement la chronique camarguaise : le lapin de garenne
(Oryctolagus cuniculus), le flamant rose (Phoenicopterus roseus) et le sanglier (Sus scrofa). Le lapin, espèce autrefois abondante a
disparu de la plupart des propriétés du delta du Rhône que celles-ci soient protégées ou non. Jusqu’à la fin du XXe
siècle, il était considéré à la fois comme le gibier de base de la chasse populaire en Camargue et comme un « ravageur »
des cultures. Le flamant rose, espèce protégée depuis les années 1960, fait l’objet de toutes les attentions de la part des
conservationnistes et scientifiques (suivis des populations, régulation des prédateurs, création/entretien d’ilots de
reproduction, gestion des niveaux d’eau autour de la colonie). En même temps, les dégâts qu’il génère dans les rizières
sont l’objet de tensions régulières entre les acteurs de la conservation de la nature et de l’agriculture au sujet du modèle
de production adopté en Camargue et de la nécessité de sa transformation. Enfin, le sanglier, espèce absente de
Camargue au XIXe siècle, est devenue une espèce gibier abondante, recherchée et attirée dans les chasses privées et
publiques. Espèce désormais classée nuisible, elle engendre des dégâts agricoles croissants donc des tensions mais aussi
de nouvelles alliances entre propriétaires, agriculteurs, chasseurs et gestionnaires d’aires protégées.
Dans cette communication, nous analysons l’évolution historique de l’abondance des populations de ces trois
espèces en Camargue ainsi que la transformation de leurs statuts réglementaires, les effets écologiques et sociaux associés
à partir :
(1) de l’étude des archives publiques et privées,
(2) d’une campagne d’enquête par entretiens semi-directifs auprès d’une trentaine de propriétaires, chasseurs,
agriculteurs et gestionnaires d’aires protégées,
(3) ainsi que d’une étude quantitative des représentations sociales par la méthode d’association libre réalisée en
2011 et 2012.
Nous montrons comment ces 3 espèces illustrent des formes différentes d’intégration de la faune dans la
sphère sociale mais aussi comment la légitimité des savoirs et les jeux de pouvoir évoluent au cours du temps. L’attention
dont elles font l’objet de la part des différentes parties-prenantes de la gestion du territoire en fait des espèces hybrides
entre espèces sauvages et domestiques qui font exploser la dichotomie nature/culture. Une espèce nuisible peut devenir
menacée tel le lapin. Cette espèce clé de voute de l’écosystème camarguais, tarde pourtant à être l’objet d’une
mobilisation par les scientifiques et les conservationnistes malgré un effondrement des effectifs très bien documenté. À
l’inverse des espèces gibiers ou protégées peuvent devenir nuisibles avec des formes de régulation radicalement différentes
(indemnisation des dégâts et battues administratives pour le sanglier, MAE, effarouchements et incitations à planter des
haies pour le flamant rose). Selon l’évolution des vulnérabilités humaines et non-humaines, les espèces autant que les
espaces fréquentés connaissent une patrimonialisation, mais aussi une valorisation touristique, symbolique et
économique. Ainsi, nous montrons comment le statut de l’espace fait aussi le statut de l’espèce et inversement (les
incursions des flamants ou des sangliers pouvant symboliser l’appropriation ou la mise sous tutelle des propriétés tantôt
par les acteurs de la protection de la nature tantôt par ceux de la chasse). Les usages de la notion de nuisible fluctuent
aussi selon les époques et les acteurs considérés et révèlent le caractère dynamique des relations homme/nature mais
aussi des interdépendances socio-écologiques. La notion de nuisible participe alors non seulement à la recomposition des
rapports de force entre acteurs du territoire mais aussi à la redéfinition du sauvage et des relations humains/non-humains
en Camargue.
DALLA BERNARDINA S., 1996. L’utopie de la nature. Chasseurs, écologistes et touristes. Imago, Paris.
HELL B., 1994. Le sang noir. Chasse et mythe du Sauvage en Europe. Flammarion. Paris.
MAUZ I., 2002. Les conceptions de la juste place des animaux dans les Alpes françaises, Espaces et sociétés 110-111 :
129-145.
MAUZ I., 2005. Gens, cornes et crocs. Cemagref-Cirad-Ifremer-Inra. Versailles.
MICOUD A, 1993. Vers un nouvel animal sauvage, le sauvage "naturalisé vivant" ?, Nature Sciences et Sociétés, vol.1(3):
202-210.
MICOUD A., BOBBE S., 2006. Une gestion durable des espèces animales est-elle possible avec des catégories
naturalisées ? », Natures Sciences et Sociétés, 14 : 32-35.
Colloque « Sales bêtes ! Mauvaise herbes ! « Nuisible », une notion en débat »
Livret des résumés
9
MOUGENOT C., STRIVAY L., 2011. Le pire ami de l’homme : du lapin de garenne aux guerres biologiques. Paris, La Découverte.
MOUNET C., 2007. Les territoires de l’imprévisible. Conflits, controverses et vivre ensemble autour de la gestion de la faune sauvage. Le cas
du loup et du sanglier dans les Alpes françaises. Thèse de doctorat de Géographie, IGA, Université Grenoble 1. Joseph
Fourier.
LES DONNEES ECOLOGIQUES DISPONIBLES
DANS LE CADRE DE LA PROCEDURE DE CLASSEMENT DES ESPECES
Par Sandrine RUETTE et Murielle GUINOT-GHESTEM
Direction de la recherche et de l’expertise, ONCFS
Nous expliquerons les études et recherches menées par la direction de la Recherche et de l’Expertise de
l’ONCFS permettant d’apporter des éléments au débat « Nuisibles ? ».
i) quelle est la présence significative de ces espèces ?
Dans ce premier point, nous expliquerons comment des éléments pour le suivi de l’aire de répartition des espèces, et
pour le suivi de la permanence de cette aire de répartition peuvent être apportés grâce aux observations collectées par les
agents de l’ONCFS sur des carnets de bord dans les véhicules puis analysées par des méthodes statistiques innovantes.
ii) quel est l’impact des prélèvements sur les populations ?
Nous détaillerons les enquêtes réalisées pour estimer le nombre de prélèvements pour ces espèces, les études permettant
des avancées sur la connaissance de la dynamique des populations de ces espèces et les travaux de synthèse menés pour
l’évaluation du statut de conservation de ces espèces au regard de la réglementation européenne (rapportage Directive
Habitats Faune Flore) et du classement des espèces sur les listes de l’UICN.
iii) quelle est l’ampleur des dommages provoqués par ces espèces ?
Dans ce dernier point, seront expliquées les difficultés techniques pour l’évaluation quantitative et qualitative des
dommages et les études menées sur quelques sites afin d’évaluer l’impact de la prédation sur les élevages agricoles et les
populations de petit gibier.
Nous conclurons en proposant une analyse des études et recherches prioritaires restant à mener sur les espèces
susceptibles d’être classées nuisibles.
POURQUOI LES MAMMIFERES SERAIENT-ILS NUISIBLES ?
Par Christian ARTHUR, Stéphane AULAGNIER, Patrick HAFFNER, Virginie MUXART et
François MOUTOU
Société française pour l’étude et la protection des mammifères
Sans remonter trop loin dans le temps, le suivi de la mise en place de la liste des espèces de mammifères de
France apporte quelques éléments de réflexion sur leurs différents statuts et donc sur la notion de « nuisible ». Il suffit
pour cela de partir du XIXe siècle. Dans les premiers ouvrages consultés il est intéressant de noter que les animaux
domestiques figurent à côté des espèces sauvages. C’est encore l’époque de l’acclimatation, de l’utilitarisme. En
conséquence, à la fin du XIXe siècle, il n’y a pas que les carnivores qui sont considérés « nuisibles », l'écureuil, le
muscardin, le campagnol amphibie, le grand hamster l’étaient aussi, tout comme le lapin de garenne. A la fin du
XIXe siècle, la réalité de la disparition des espèces, le développement de la protection des animaux domestiques et la prise
en compte de l’utilitarisme écolo-économique de certaines espèces vont faire évoluer les choses. Le XXe siècle voit
l’écologie se développer. Les études de terrain éclairent d’un jour nouveau la relation complexe végétation – herbivores –
prédateurs au sein des réseaux trophiques et des écosystèmes.
Pourtant le droit n’évolue pas aussi vite que la science ou les consciences. Il a fallu que des espèces comme
l’ours brun, la loutre, le chat forestier et le grand hamster soient réellement en danger de disparition sur le territoire
national pour qu’ils ne soient plus considérés comme « nuisibles » et cela depuis 1958 (chasse à l’ours interdite), 1972
(chasse et piégeage de la loutre interdits). La loi sur la protection de la nature de 1976 marque ensuite un tournant avec
l’apparition des listes d’espèces dites « protégées.
La première version de l’arrêté ministériel « fixant les listes des mammifères protégés sur l’ensemble du
territoire » date du 17 avril 1981. Néanmoins, en 1988, il apparait un décret sur les espèces « susceptibles d‘être classées
nuisibles ». On va y retrouver des carnivores autochtones et exotiques introduits en France, ainsi que le lapin de garenne
et le sanglier. Pour certaines espèces, la situation peut être curieuse. Le loup, disparu de France peu avant 1940, n’est
alors cité nulle part. Inversement, bien qu’absent depuis plus longtemps, le lynx figure sur l’arrêté du 17 avril 1981. Le
projet de retour, débuté en 1983 dans les Vosges, était déjà engagé. Des mises à jour ont suivi. Le loup rejoint la liste des
mammifères protégés en 1993, le campagnol amphibie en 2012.
Tous les mammifères sauvages présents en France n’existent pas juridiquement pour autant. L’essentiel des
rongeurs et des musaraignes ne figure sur aucun texte, soit un peu plus de 30 espèces sur environ 150 connues, soit 20%,
Colloque « Sales bêtes ! Mauvaise herbes ! « Nuisible », une notion en débat »
Livret des résumés
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ce qui n’est pas si négligeable. Parallèlement, l’étanchéité des Codes permet la survivance d’expressions comme « bêtes
fauves » et « bêtes malfaisantes » jusqu’à la fin du XXe siècle, par exemple dans le Code des communes.
À partir de quelques exemples spécifiques, en comparant le statut respectif actuel d’espèces comme la belette,
l’hermine ou encore avec le castor, nous essaierons de montrer qu’en plus de l’écologie, du droit et de l’évolution de la
morale, il faut prendre aussi en compte les « habitudes » pour essayer d’interpréter l’ambiguïté ou la curieuse « logique »
du terme « nuisible ». Le but de cette communication est bien de questionner le statut « nuisible » tel qu’il est appliqué
aux mammifères en France à partir de ces différents cas de figure.
16h
Table-ronde
Vivre avec les « nuisibles » ?
Table ronde animée
Par Jean-Jacques FRESKO
Journaliste associé à L'Agence Nature, ancien rédacteur en chef de Terre Sauvage
Avec
Benoît CHEVRON
Président de la fédération départementale des chasseurs de Seine-et-Marne
Geneviève GAILLARD
Députée des Deux-Sèvres. Rapporteuse de la loi « biodiversité » à l’Assemblée nationale
François MOUTOU
Vétérinaire et épidémiologiste. Vice-président de la Société nationale de protection de la nature
Baptiste MORIZOT
Philosophe à l’université d’Aix-Marseille. CEPREC – UMR 7304
Jean-Philippe SIBLET
Directeur du service du patrimoine naturel. MNHN
Alors que le législateur a abandonné le terme « nuisible » dans la récente loi « biodiversité », il est utile
de s’interroger sur la façon dont l’homme peut vivre – ou pas – avec ces espèces animales et végétales qui
paraissent l’encombrer. Quelles sont les espèces « nuisibles » et pour qui ? Comment l’homme doit-il se
comporter avec elles ? Quelle place doivent-elles avoir ? En permettant à des points de vue variés de
s’exprimer sur ces questions, cette table ronde espère contribuer à éclairer le débat.
Colloque « Sales bêtes ! Mauvaise herbes ! « Nuisible », une notion en débat »
Livret des résumés
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MERCREDI 1ER FEVRIER 2017
9h
Thème 4
Les espèces exotiques sont-elles nuisibles ?
Modérateur : François MOUTOU
Vétérinaire et épidémiologiste
LORSQUE LES NUISIBLES SONT ETRANGERS.
LA CONSTRUCTION HISTORIQUE DE LA NOTION D'ESPECES INTRODUITES OU
ENVAHISSANTES ET SON RAPPORT A CELLE DE NUISIBLE
Par Valérie CHANSIGAUD
Historienne de l’environnement. SPHERE, université Paris-7 Diderot
Le phylloxera et le doryphore viennent d’Amérique du Nord, le moustique tigre nous est arrivé de Chine via
l’Albanie, le chikungunya est introduit en France par des voyageurs venant des DOM-TOM, etc. De très nombreuses
espèces fortement nuisibles ont une origine étrangère. Même l’Europe, peut également être la source de dangereuses
espèces envahissantes comme le lapin en Australie ou la chenille spongieuse en Amérique du Nord. La proximité de
cette réalité avec les discours xénophobes concernant les mouvements migratoires d’êtres humains rend cette question
délicate, voire explosive. Cette communication revient sur la construction historique de la notion d’espèces envahissantes
à travers trois problématiques :
Il convient d’abord de retracer l’histoire des notions d’espèces introduites et envahissantes et notamment du
rôle central joué par le biologiste américain Charles Sutherland ELTON (1900-1991) et son livre The Ecology of Invasions by
Animals and Plants (1972). Ce rappel permet d’appréhender la place essentielle de l’histoire et de la géographie dans
l’émergence d’un problème local due à l’introduction d’une espèce.
Le concept de frontière dans les sciences du vivant, qu’elle soit géographique ou biologique, est une question
clé pour comprendre la notion d’envahissement ou d’épidémie. Cela permet d’analyser une affirmation maintes fois
entendue : la notion d’espèces envahissantes serait anthropocentrée, mais est-ce vraiment le cas ? Il s’agit d’examiner cet
« anthropocentrisme » supposé à l’aide d’exemples concrets comme le phylloxera en France, le lapin en Australie ou les
champignons pathogènes des arbres.
Enfin, la prolifération d’espèces introduites et l’existence de discours xénophobes ne doivent pas conduire à des
mélanges douteux ou des dénonciations intempestives car, en définitive, rien ne relie ces deux univers si ce n’est la
similarité superficielle du vocabulaire utilisé. N’est-ce pas, en définitive, la complexité même du phénomène d’espèces
envahissantes et les peurs que ces espèces suscitent qui conduisent nombre d’acteurs à prendre des positions
idéologiques et partisanes ?
ESPECE NUISIBLE, ESPECE INVASIVE : DES STATUTS PUBLICS DANS LA SUCCESSION
DES LECTURES DU MONDE. LE CAS DE L'AJONC D'EUROPE (ULEX EUROPAEUX)
SUR L'ILE DE LA REUNION
Par Nathalie UDO et Catherine DARROT
Agrocampus Ouest, UMR CNRS 6590 ESO « Espaces et Sociétés », Rennes
et Anne ATLAN
Université Rennes 2, UMR CNRS 6590 ESO « Espaces et Sociétés », Rennes
De nombreuses espèces déclarées nuisibles ou invasives ont été introduites intentionnellement dans les
territoires où des actions de gestion sont à présent en place pour les contrôler voire les éradiquer. Avec quelle trajectoire
et sous l’effet de quels facteurs ces espèces sont-elles passées de la catégorie d’espèce désirée à celle d’espèce réprouvée ?
A travers le cas de l’ajonc d’Europe (Ulex europaeus) sur l’île de La Réunion, les deux principaux objectifs de cette étude
sont : (i) d’identifier et de décrire les différents statuts publics qui ont été attribués à l’espèce depuis son introduction
dans l’île (type de justification, espaces ciblés, groupe d’acteurs définissant et diffusant chacun de ces statuts) et (ii) de
contextualiser ces statuts en fonction des contextes socio-économiques et scientifiques ainsi que de l’écologie de la
plante, notamment son expansion spatiale. Le corpus de matériaux collectés et analysés est composé d’articles
académiques et littérature grise, d’articles de presse nationale et régionale, d’ouvrages grand public, de textes
réglementaires et d’entretiens semi-directifs auprès des différents acteurs impactés ou concernés par cette plante.
L’étude a permis de mettre en évidence cinq statuts publics successifs attribués à l’ajonc depuis son
introduction volontaire sur l’île au début du XIXe s., que nous avons nommé : plante utile, plante patriotique, plante
indigénisée et appréciée, plante nuisible et plante invasive. Chaque statut correspond à un certain type de justifications
(ex. : technique, économique, scientifique, sensible) ciblant une partie des attributs ou capacités biologiques de l’ajonc
(ex. : odeur et couleur des fleurs, épines, origine géographique, croissance rapide). Les surgissements de ces statuts dans
Colloque « Sales bêtes ! Mauvaise herbes ! « Nuisible », une notion en débat »
Livret des résumés
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l’espace public sont liés au succès écologique de la plante, c’est-à-dire son expansion géographique, mais également aux
vocations socio-économiques des territoires et à l’entrée en scène de nouveaux acteurs produisant et diffusant différentes
visions des milieux naturels et des relations entre les humains et la nature. La publicisation de ces statuts dépend de la
mise en réseau de ces acteurs, de leur visibilité publique et de leurs capacités à capter l’attention des politiques publiques.
L’approche rétrospective choisit dans cette étude nous invite à repositionner le statut invasif de l’ajonc,
aujourd’hui dominant dans l’espace public, au sein de la succession des lectures du monde. Elle permet également de
conduire une analyse comparée des deux statuts nuisible et invasif afin de déceler les points de divergence et de
similitudes. Il est alors intéressant de noter que, si les actions de contrôle et d’éradication engendrées par ces deux statuts
sont congruentes, il y a un déficit de concertation entre les différents acteurs les promouvant. Cette analyse met ainsi en
lumière à la fois les rapports de domination que les humains entretiennent avec la nature, mais aussi les rapports de force
entre groupes sociaux influant indirectement la catégorisation publique du vivant.
CALLON M, LATOUR B (1991) La science telle qu’elle se fait: anthologie de la sociologie des sciences de langue anglaise. La Découverte
CHERUBINI B (2006) Le paysan réunionnais et les plantes envahissantes : un partenariat à construire au sein des politiques
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CLAEYS C, SERANDOUR J (2009) Ce que le moustique nous apprend sur le dualisme anthropocentrisme/biocentrisme : perspective
interdisciplinaire sociologie/biologie. Nat Sci Sociétés 17:136–144.
KUHN T.S. (1972) La structure des révolutions scientifiques. Paris : Flammarion
MOUGENOT C, ROUSSEL L (2006) « Peut-on vivre avec le ragondin ? Les représentations sociales reliées à un animal
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REMY E., BECK C. (2008) « Allochtone, Autochtone, Invasif : Catégorisations Animales et Perception D’autrui ». Politix
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DE L'IBIS SACRE A L'IBIS NUISIBLE. ESPECE INVASIVE, RESURGENCE DE LA
NOTION DE NUISIBLE PAR PRINCIPE ?
Par Loïc MARION
UMR CNRS ECOBIO, université de Rennes-1
et Farid BENHAMMOU
Géographe. Chercheur associé, Laboratoire Ruralités, EA2252 - Université de Poitiers
La notion de nuisible, inventée au XIXe siècle, a suscité de nombreux débats chez les scientifiques, qui l’ont
âprement combattue à partir des années 1960-70. La remise en cause de cette notion semble compromise par
l’engouement suscité chez les gestionnaires de l’environnement par la menace mondiale représentée par les espèces
invasives, accusées par principe de nuire aux activités humaines ou à la biodiversité des espèces natives. Parmi les griefs
qui leur sont reprochés figure en bonne place la prédation, véritable résurgence de la notion de nuisibles. Mais
contrairement à une logique scientifique, des acteurs administratifs, naturalistes voire scientifiques appliquent
implicitement ou explicitement cette notion avec le filtre de l’origine : les espèces prédatrices, même si elles exercent une
forte pression sur les populations proies, sont exclues de toute critique a priori si elles sont natives, alors que la moindre
suspicion de prédation de la part d’espèces allochtones les fait classer d’emblée dans la liste des espèces à éradiquer,
même sans preuve de dommages.
Le cas de l’ibis sacré est symbolique de cette dérive. Espèce emblématique du bestiaire mondial, sacré pour les
Egyptiens qui le tenaient pour le Dieu de l’écriture (Thot), l’ibis sacré figure comme espèce vulnérable au niveau mondial
compte tenu de ses populations peu nombreuses, dispersées voire localement disparues, comme en Égypte au XIXe siècle
et probablement en voie de disparition en Irak depuis la guerre Iran-Irak ayant conduit à l’assèchement des marais du
sud de la Mésopotamie. En Afrique, elle côtoie sans problème en reproduction ou en hivernage une grande partie des
espèces d’oiseaux d’eau que l’on retrouve en Europe (hérons, aigrettes, spatules, guifettes, limicoles…) dont une partie
sont d'origine africaine et de présence récente en Europe où elles sont considérées comme partie intégrante de la faune
locale. Mais l’espèce s’est échappée dans les années 1990 de trois parcs animaliers français, l’un en Bretagne et deux sur
la côte méditerranéenne, entraînant des implantations férales parfois importantes en présence de vastes marais, comme
c’est le cas en Loire Atlantique et dans le golfe du Morbihan.
Une partie des ornithologues français, ne connaissant pourtant rien de la biologie de l’espèce, a considéré
d’emblée que cette espèce n’avait pas sa place en France car d’origine allochtone, et qu’elle devait être éradiquée.
Pourtant, l’espèce a fortement favorisé l’implantation des spatules blanches, en liste rouge des espèces menacées, jusquelà réduites à quelques couples. Elle pourrait faire de même avec l'ibis falcinelle. Cette volonté d’éradication s’est
uniquement basée sur la menace supposée que pourrait faire peser l’ibis sacré sur des espèces d’oiseaux natives. De 2005
Colloque « Sales bêtes ! Mauvaise herbes ! « Nuisible », une notion en débat »
Livret des résumés
13
à 2015, près de 8 000 ibis sacrés ont été tués par l’ONCFS, et des milliers de couvées détruites, en l’absence de toute
étude scientifique sérieuse et en toute illégalité les premières années. Pire, la publication de 14 années de suivi du régime
alimentaire de l’ibis sacré en Loire Atlantique en 2013, prouve l’innocuité de l’espèce pour les autres oiseaux. Sa
dynamique est liée à celle de sa proie essentielle, l’écrevisse de Louisiane, espèce invasive réellement problématique
qu’elle contribue à réguler. Pourtant, la politique de destructions systématique se poursuit.
L'objectif de cette communication est de questionner la résurgence de la notion de nuisible à travers la gestion
d'une espèce dite invasive comme l'ibis sacré. Dans un premier temps, il s'agira de présenter l'expansion de l'espèce et le
mécanisme décisionnel qui a amené une volonté publique d'éradication. Ensuite, il apparaît nécessaire de montrer la
faiblesse scientifique des arguments amenant à une telle gestion. Enfin, nous montrerons comment non seulement ces
pratiques sont contreproductives mais qu'elles s'inscrivent dans des modes de gestion dogmatiques et expéditifs difficiles
à remettre en cause dans la durée. Ces mesures de destruction ont en outre des effets collatéraux importants dans les
colonies mixtes de hérons et spatules, stressés par les destructions en pleine saison de reproduction, en infraction avec la
législation sur les espèces et les espaces protégés, toutes ces colonies étant en Natura 2000.
DES LAPINS DE GARENNE DANS LES GRANDS PARCS URBAINS DE LA SEINE-SAINTDENIS. HISTORIQUE D'UNE GESTION
Par Léo MARTIN
Doctorant. CESCO-PALOC, MNHN
Espèce familière, le lapin fait partie intégrante de notre environnement et de notre bestiaire collectif (CALLOU,
2002). Tantôt gibier, tantôt animal de compagnie, d’élevage ou de laboratoire (OPCIT, 2002) son statut est multiple et
changeant. Les travaux de sociologie et d’anthropologie de Catherine MOUGENOT et Lucienne STRIVAY (2002) illustrent
bien la multiplicité et la complexité des liens qui s’opèrent entre les lapins et les humains au fil du temps. Par ailleurs, le
lapin de garenne (Oryctolagus Cuniculus) possède un statut de conservation que certains écologues qualifient de paradoxal
(LEE & BELL, 2008). En effet, en danger dans son aire de répartition d’origine (OPCIT, 2008) le lapin de garenne pullule
là où il est introduit (THOMPSON & KING, 1994). Par ailleurs, alors qu’il a fortement décliné en France métropolitaine
depuis les années 50 (MARCHANDEAU et al, 2003) il trouve aujourd’hui « refuge » en périphérie des villes et parfois
jusque dans leur centre s’adaptant aux contraintes du milieu (ZIEG et al, 2015). Dans ce contexte, les grands parcs
urbains du département de la Seine-Saint-Denis et plus particulièrement le parc Georges Valbon (400 ha) et le parc du
Sausset (200 ha), abritent des espèces animales et végétales les classant au rang de zone Natura 2000 depuis 2006
(Parcsinfo, 2016). De récents travaux de thèse en ethnographie menés dans le parc George Valbon par Marine
LEGRAND montrent en quoi l’intégration des nouvelles préoccupations environnementales modifie les modes
d’appropriation de l’espace en passant notamment par une « mise en ordre » écologique de ces derniers (LEGRAND,
2015). Cette écologisation des parcs fut encouragée dans les années 90 par l’application d’une gestion dite harmonique
(DUBREUIL, 2006). Mais l’harmonie recherchée par les gestionnaires peut parfois être bousculée par la présence d’une
espèce considérée dès lors comme nuisible. C’est le cas du lapin de garenne dont les mœurs entrent en conflit avec les
objectifs de gestion des parcs. Arbres écorcés, chemins cabossés, pelouses et talus déstructurés, le lapin met à mal les
objectifs de gestions. Actuellement classé nuisible dans le département (FICIF, 2016), des reprises de lapin sont effectués
chaque année et ceci de façon professionnelle depuis 1998. Dans ce cas, les lapins capturés servent à alimenter des
territoires où leur manque se fait sentir (territoire de chasse, programme de conservation). Mais ce système de régulation
très coûteux pose des questions quant à sa pérennité et parfois même en fonction des années sur son efficacité. Face à
cette situation le Conseil Général, les parcs, l’Observatoire de la Biodiversité urbaine et le Muséum National d’Histoire
Naturelle ont réfléchi à l’élaboration d’une thèse. Ce travail viserait à co-construire un plan d’action en réfléchissant aux
modalités d’intégration des connaissances écologiques et sociales. Débuté en novembre 2015, un historique de la
problématique est en cours. Cette investigation représente la première enquête de terrain et se donne pour but de
retracer l’évolution des pratiques et des représentations du lapin dans les parcs et leurs abords depuis les années 90. Ainsi
l’intervention présentera toutes les étapes qui ont amené les gestionnaires à vouloir reconsidérer cette problématique.
La réflexion s’appuiera sur des documents d’archives et des enquêtes menées auprès des acteurs concernés ou
anciennement concernés par le sujet. Ces entretiens seront analysés par un regard sociologique et anthropologique en
s’intéressant plus particulièrement aux différentes controverses que le lapin fait émerger. De manière prospective,
l’intervention se terminera par quelques pistes de réflexion sur la place des espèces sauvages dans les milieux urbains.
CALLOU Cécile, 2002, « De la garenne au clapier: étude archéozoologique du lapin en Europe occidentale », MNHN.
DUBREUIL Céline, 2006, Une expérience de développement durable: la gestion harmonique dans les parcs départementaux de la SeineSaint-Denis de 1990 à 2005, Mèze, Biotope : Dép. de la Seine-Saint-Denis Conseil Général : Observatoire dép. de la
biodiversité urbaine, Parthénope collection, 144 p.
LEES Alexander C., BELL Diana J., 2008, « A conservation paradox for the 21st century: the European wild rabbit
Oryctolagus cuniculus, an invasive alien and an endangered native species », Mammal Review, 38(4), p. 304-320.
LEGRAND Marine, 2015. « Le paradoxe de la gestion harmonique : construction d’un patrimoine écologique et
dispositifs de contrôle de l’espace au sein d’un parc urbain ».
Colloque « Sales bêtes ! Mauvaise herbes ! « Nuisible », une notion en débat »
Livret des résumés
14
ethnographiques.org,
Numéro
29
décembre
2014
Ethnologie
et
mathématiques
[en
ligne].
(http://www.ethnographiques.org/2014/ Legrand - consulté le 18.03.2016)
MARCHANDEAU S., PASCAL M. & VIGNE J.-D., 2003. Le Lapin de garenne : Oryctolagus cuniculus (Linné, 1758).
Pages 329-332, in : Évolution holocène de la faune de Vertébrés de France : invasions et disparitions (M.Pascal, O. Lorvelec, J.-D.
Vigne, P. Keith & P. Clergeau, coordonnateurs), Institut National de la Recherche Agronomique, Centre National de la
Recherche Scientifique, Muséum National d'Histoire Naturelle (381 pages).
Rapport au Ministère de l'Écologie et du Développement Durable (Direction de la Nature et des Paysages), Paris,
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European rabbits along a rural-to-urban gradient », Journal of Zoology, 295(4), p. 286-293.
Site parcinfos Seine-Saint-Denis (consulté le 17/03/2016) : http://parcsinfo.seine-saint-denis.fr/L-histoire-du-parc19.html#outil_sommaire_3
Site de la Fédération Interdépartementale des chasseurs d’Ile de France (consulté le 17/03/2016) :
http://www.ficif.com/assets/ar-3ieme-groupe-nuisibles-seine-saint-denis-2015.pdf
11h
Thème 5
Les nuisibles dans les campagnes
Modérateur : Jean-Marc MORICEAU
Historien. CRHQ et Pôle Rural – université de Caen Normandie
LES ANIMAUX NUISIBLES DANS LES CAMPAGNES DU HAUT MOYEN ÂGE
Par Fabrice GUIZARD
Médiéviste. CALHISTE (EA 4343) – université de Valenciennes et du Hainaut Cambrésis ; ArScAn (UMR
7041) archéologies environnementales, CNRS Paris X Nanterre
Les textes du haut Moyen Âge sont peu diserts sur les animaux nuisibles. Les encyclopédistes qui héritent du
savoir agronomique antique ne prennent que très peu compte de cette question au détour d’une notice sur un animal. En
l'absence de sources agronomiques ou de textes spécifiques sur la question, il faut se contenter de faisceaux d’indications
contenues dans quelques documents (lettres, poésie, récits…) qui donnent des informations parcimonieuses au milieu
d’un discours non zootechnique. Je propose donc de partir à la recherche des animaux « nuisibles » dans ces textes.
L’enquête tourne d’abord autour du lexique des animaux malfaisants, dans une économie rurale décrite avant
tout par des clercs. Les lecteurs de ces textes n’étant pas les paysans, le propos se place principalement aux plans
religieux et moral. Les ecclésiastiques se demandent comment pourrait-on distinguer dans la Création des espèces qui
finalement s’avèreraient inutiles, pire, nuisibles. Ces animaux ont du sens : aussi les exemplae, comme les récits de songes,
détaillent les supplices infligés par des bêtes aux damnées dans les enfers. Le bestiaire démoniaque, avec en tête le
serpent-dragon, concentre tous les caractères de la faune nuisible pour l’homme.
Dans un discours d’économie rurale, l’inventaire des espèces nuisibles est varié : les carnivores menacent le
cheptel, les petits carnassiers la basse-cour, les vers et les insectes les récoltes. Des espèces sont occasionnellement
considérées comme nuisibles : les sangliers dans les champs de blé, les chiens domestiques errant sur le finage et semant
la panique dans les troupeaux.
Le point commun à toutes ces espèces est la valeur négative qui leur est accordée : le loup, la chenille, le
sanglier et même le cerf, lorsqu'ils sont des animaux intrusifs, sont considérés nuisibles. Ils constituent les contrepoints
des valeurs positives de la production agricole, de l'élevage, de la maîtrise de l’espace par l'homme. Car c'est le reflet
d’une certaine vision du monde : le territoire des hommes ne peut se confondre avec celui des bêtes.
AMAT J., Songes et visions. L’au-delà dans la littérature latine, Paris, 1985.
L’animal exemplaire au Moyen Âge (Ve-XVe s.), éd J. Berlioz, A.M. Polo de Beaulieu, Rennes, 1999.
GUIZARD F., Les terres du sauvage dans le monde franc (IVe-IXe s.), Rennes, 2009.
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VOISENET J., Bêtes et hommes dans le monde médiéval. Le bestiaire des clercs du Ve au XIIe siècle, Turnhout, 2000.
ZIOLKOWSKI J.M., « Poultry and predators in Two Poems from the Reign of Charlemagne », Denver Quaterly, n°24/3,
1990, p. 24-32.
Colloque « Sales bêtes ! Mauvaise herbes ! « Nuisible », une notion en débat »
Livret des résumés
15
LES FRICHES : DES ESPACES NUISIBLES ?
Par Rémi BEAU
Philosophe, laboratoire Sophiapol, EA 3932, université Paris Ouest Nanterre La Défense
Nous voyons se constituer à la fin du XVIIIe siècle un faisceau de discours économiques et agronomiques,
développant une critique violente de l'ensemble des espaces rassemblés sous la désignation de friches. Incultes, négligées,
terres incertaines ou terrains vagues, les friches se voient accusées de nuire aux paysages et à la société. Suivant ces
discours que développent, en particulier, les agronomes qui parcourent les campagnes françaises, d'Arthur YOUNG à
Jean-Augustin-Victor YVART en passant par François de NEUFCHATEAU, ces terres délaissées « improductives et
malsaines » défigurent les paysages autant qu'elles déshonorent leurs propriétaires. La critique des friches est ainsi non
seulement appuyée sur les nouveaux savoirs agronomiques et économiques, mais possède également une dimension
morale. Si elle apparaît initialement principalement dans les campagnes, cette critique prend forme également dans un
contexte urbain, visant les lieux désertés après avoir été le théâtre de révoltes sociales. Dans ce sens, Bernadette LIZET
décrit la façon dont les discours sur la nature et sur les phénomènes sociaux se croisent tout particulièrement à la fin du
XIXe siècle, montrant notamment comment l'idée qu'il existe une végétation de la subversion ou une flore de crise
s'impose alors – on parle aussi de flore rudérale au sens littéral d'une végétation qui pousse sur les décombres. De fait,
cette association entre l'écologique et le social intéresse des botanistes qui sillonnent les villes et élaborent des flores
urbaines, flore du « déséquilibre écologique et social ». Renvoyant au désordre de la nature et de la société, les friches
sont donc désormais décrites comme des espaces nuisibles.
Cette dépréciation des friches perdure aux XIX et XXe s. Elle prend même une nouvelle ampleur dans le dernier
quart du XXe s. avec l'apparition de la thématique de la fermeture des paysages, qui résulterait de la déprise agricole. Et,
les métaphores se font à nouveau violentes : « la friche est une lèpre qui dévore le paysage (LE FLOCH et DEVANNE,
2003) ». Les espaces délaissés, livrés à la nature seraient propices à l'installation et au développement d'une faune et d'une
flore dangereuses et nuisibles – serpents, ronces, ambroisie, etc. Par ailleurs, cette recrudescence de la critique des friches
associe une nouvelle fois l'écologique et le social, les espaces abandonnés étant, en effet, suspectés d'abriter un certain
nombre d'activités illégales (DUPRE, 2005).
Enfin, ce regard négatif sur les friches peut être réinterrogé et contesté au sein d'approches qui renouvellent la
pensée du sauvage. De ce point de vue, les friches ne devraient plus être considérées comme des lieux propices au
développement des espèces nuisibles, mais plutôt comme des lieux d'accueil favorisant une forme de retour du sauvage
(GENOT, SCHNITZLER, 2012, CLEMENT, 2004).
Gilles CLÉMENT, Manifeste du Tiers paysage, Paris, Sujet-objet éd, coll. « L’autre fable », 2004, 69 p.
L. DUPRÉ, « Des friches: le désordre social de la nature », Terrain, no 1, 2005.
C. JANIN et L. ANDRES, « Les friches : espaces en marge ou marges de manœuvre pour l'aménagement des
territoires ? », Annales de géographie, 2008.
Bernard KALAORA, « Les Salons verts : parcours de la ville et de la forêt », in La théorie du paysage en France: 1974- 1994,
Seyssel, Champ Vallon, coll. « Pays / Paysages », 1995.
Sophie LE FLOCH et Anne-Sophie DEVANNE, « Qu'entend-on par fermeture du paysage ? », Convention cadre
« Gestion des Territoires », Cemagref, 2003.
Bernadette LIZET, « Naturalistes, herbes folles et terrains vagues », Ethnologie française, vol. 19, no 3, Juillet 1989.
Annik SCHNITZLER-LENOBLE et GÉNOT Jean-Claude, La France des friches : de la ruralité à la féralité, Quae, 2012.
LES NUISIBLES, SYMBOLES INAMOVIBLES DE L'UTILITARISME AGRICOLE ?
Par Rémi FOURCHE
Historien, laboratoire d’études rurales, EA 3728 – université Lumière Lyon 2
Cette communication s’appuie sur un travail de thèse consacré à l’histoire de la protection phytosanitaire4. Cette
dernière se définit par rapport à des organismes vivant dans un écosystème déséquilibré. En concurrence avec l’homme,
ils sont « nuisibles ». Le nuisible est une représentation axiomatique en agriculture végétale, cependant historiquement
peu étudiée, sauf ponctuellement (livres scolaires) ou sur des points connexes (protection de la nature, rôle des oiseaux,
chasse…). L’objectif est d’envisager une éventuelle modification dans leur perception au niveau national, et ce en lien
avec l’évolution des méthodes sanitaires. Symboliquement, la période considérée est comprise entre 1867, création de la
Société d’insectologie agricole, et 1972, date de la prise en compte de l’environnement dans l’homologation des
pesticides. La démonstration s’effectue en s’appuyant sur de nombreux périodiques, surtout naturalistes ou agricoles,
dépouillés lors de notre thèse, ainsi que sur des archives du Ministère de l’agriculture.
Tout d’abord, la réinterrogation du danger induit par les « nuisibles » constitue une obligation. Il s’agit
d’apprécier la réalité des dégâts infligés aux cultures au cours du temps. Après 1945, les écrits techniques laissent
4 Rémi FOURCHE, Contribution à l’histoire de la protection phytosanitaire dans l’agriculture française (1880-1970), Université Lyon 2, soutenue le 29 octobre
2004, 2 volumes. 520 p.
Colloque « Sales bêtes ! Mauvaise herbes ! « Nuisible », une notion en débat »
Livret des résumés
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imaginer une modification de la perception des risques. Les praticiens adoptent alors un comportement routinier…
avant l’échec de la chimie. Parallèlement, il est nécessaire de s’intéresser aux variations sémantiques traduisant diverses
approches des « nuisibles » lors de la période envisagée : permettent-elles d’envisager une évolution conceptuelle ou
renvoient-ils à une vision technique : reflets des réalités éthologiques, termes génériques, degrés de déprédation ?
S’attarder sur le classement agricole du vivant permet de mieux apprécier les évolutions. S’il y a des nuisibles, il
y a des utiles. Ils sont abordés symétriquement. Cette catégorisation résulte d’observations biologiques de la part des
élites, naturalistes ou agricoles. La volonté de vulgariser le classement apparait clairement avec la société d’insectologie.
Mais, la représentation du vivant est multiple. Le « grand public » s’instruit par le biais d’expositions, de livres, de
conseils, éléments réducteurs des connaissances… Or, dès le XIXe siècle, des naturalistes ne se cantonnent pas à une
dichotomie pratique. Cette dernière n’est pas si simple pour autant. Les scientifiques s’opposent aux animosités envers
certains animaux utiles et des passerelles existent entre les groupes. Ainsi, des espèces sont utiles et nuisibles, alors que
d’autres changent de catégorie au cours du temps. Ce point sera présenté à l’aide de quelques exemples précis.
Dès 1945, la perception des espèces indésirables se modifie et avec elle, celle de tous les hôtes des parcelles
cultivées. La chimie tendrait-elle à régler les problèmes phytosanitaires ? Ce ne fut qu’illusion. Les effets secondaires se
font sentir avant 1950 : intoxications d’abeilles, phénomènes de résistance, multiplication des indésirables… Cette ultime
partie est développée en suivant les premières tentatives de lutte intégrée (1958-1973), méthode novatrice par la
participation des praticiens aux programmes, les travaux liés à la dynamique des populations et la mise en place des seuils
de nuisibilité/tolérance. La lutte intégrée repose sur des idées antérieures, certaines issues du XIXe siècle, mais prend, en
raison des problèmes engendrés par la chimie de synthèse, un développement très important dans les années qui
succèdent à la période présentée ici.
DITES-NOUS QUI VOUS DETESTEZ ET NOUS VOUS DIRONS QUI VOUS ETES.
LES RURAUX FACE A LEURS NUISIBLES
Par Guillaume MARCHAND
Géographe, université fédérale de l’Amazonas
Florent KOHLER
Anthropologue, université de Tours
Chloé THIERRY
Écologue, SNP-MNHN
et Philippe LENA
Sociologue et géographe, IRD
La caractérisation des nuisibles révélerait-elle, en creux, le profil sociologique de ceux qui les définissent ? Une
enquête pluridisciplinaire menée durant trois ans dans trois communes bocagères (Vendée, Yonne, Seine-et-Marne) nous
permet d’apporter quelques éléments de réponse. Afin de comprendre l’attitude de leurs habitants à l’égard de la nature
ordinaire, nous avons pratiqué une double approche (qualitative et quantitative) portant sur la connaissance de la faune
et flore des communes concernées, la place réservée à la « nature » - dans ses multiples acceptions -, et son utilité. Au
total, 242 personnes ont été interrogées, respectant, autant que faire se peut, l’éventail sociologique de leur population
(jeunes actifs, rurbains, néo-ruraux, agriculteurs, retraités…). Une question portant sur les nuisibles a fait l’objet de
réponses méritant que l’on s’y arrête. Quelles sont les espèces nuisibles ? Faut-il les réguler, les exterminer, les protéger ?
L’énumération obtenue est beaucoup plus étendue que celle dressée par le gouvernement français (environ 70 espèces
ou groupes d’espèces). Y figurent notamment des invertébrés (moustiques, guêpes, frelons, chenilles, limaces), des
plantes exotiques, des reptiles (grenouilles, serpents, crapauds), des grands prédateurs (loups, ours) mais aussi l’humain !
Toutefois, si l’on s’en tient aux vingt espèces animales les plus citées, on retrouve certains membres de la liste officielle
(renard, ragondin, fouine, corbeau, sanglier, étourneau, blaireau...). Ces inventaires débouchent sur des considérations
qui vont plutôt dans le sens d’une « régulation », mais surtout, qui suggèrent qu’aucune politique de protection de
l’environnement n’est acceptable « sans restriction » : certaines espèces seront toujours malvenues. Cela ne doit pas nous
empêcher de constater des différences significatives d’une commune à l’autre, en fonction du profil des personnes
interrogées mais aussi, et cela est central, en fonction de représentations partagées au sein d’une même commune. Selon
que les rurbains sont plus nombreux, on citera les pigeons, les rats, les chats errants. Les communes fortement agricoles
citent les étourneaux, pies, corneilles, mais aussi les sangliers ou les chevreuils. De même, lorsqu’il s’agit de définir le sort
à leur réserver, les agriculteurs bios, les néo-ruraux et les navetteurs d’origine urbaine sont enclins à plus de tolérance que
les agriculteurs conventionnels ou les natifs ruraux. Certaines idées véhiculées par les premiers sur la biodiversité ou
l’écologie peuvent parfois influencer les autres habitants… Ces résultats montrent que la définition des nuisibles est
mouvante et dépend de différents facteurs tels que l’origine des populations, le type d’agriculture pratiquée et l’adhésion
aux représentations collectives des communes considérées.
BOBBE, S., 2000. « Les nouvelles cultures du sauvage ou la quête de l’objet manquant. État de la question ». Ruralia.
Sciences sociales et mondes ruraux contemporains, n°07, URL : http://ruralia.revues.org/180
DELFOUR, J., 2011. « Sauvagine » hommes et petits carnivores sauvages dits « nuisibles », partage des territoires, partage des connaissances.
Thèse de géographie, Université de Clermont-Ferrand, 352 p.
Colloque « Sales bêtes ! Mauvaise herbes ! « Nuisible », une notion en débat »
Livret des résumés
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FRIOUX, S. et PEPY, E-A (dir.) 2009, L’animal sauvage entre nuisance et patrimoine. France, XVIe-XXIe siècle, ENS, 2009, 208 p.
KOHLER, F., THIERRY, C., MARCHAND, G., LENA, Ph., 2016. Réhabiliter la nature ordinaire. Une approche participative.
Rennes, Presses Universitaires de Rennes, 256 p.
MAUZ I., 2002b. « Les conceptions de la juste place des animaux dans les alpes françaises ». Esp et soc., 110-111, 129-145.
MICOUD, A. 1992. « Comment en finir avec les animaux dits nuisibles ? », Études Rurales, n°129/130, 1993, p. 83-94.
MOUGENOT, C., et MORMONT, M. , 2009. « États de guerre ou de paix... autour de la prolifération des rats ». Ethnologie
française, vol. 39(1), pp. 35-43.
MOUGENOT, C., et ROUSSEL, L. (2006). « Peut-on vivre avec le ragondin ? Les représentations sociales reliées à un
animal envahissant ». Natures Sciences Sociétés, (Supp. 1), pp. 22-31.
WOODROFFE R., THRIRGOOD S. et RABINOWITZ A., 2005a. People and wildlife, conflict or coexistence ? Cambridge,
Cambridge University Press, Zoological society of London, 497 p.
14h30 Thème 6
Quelles sources pour construire de nouveaux regards ?
Modérateur : Isabelle PARMENTIER
Historienne. PolleN, université de Namur
ANIMAUX ET PLANTES NUISIBLES SELON LES INVENTAIRES DES ARCHIVES
NATIONALES : DE L'EVOLUTION DU CHAMP LEXICAL A LA MISE EN HISTOIRE
Par Geneviève PROFIT
Conservateur du patrimoine au DEATA, Archives nationales
Dès qu'il y a trouble, dès qu'il y a « nuisance », l'administration est presque toujours productrice de règlements
et donc d'archives. Les Archives nationales en sont le réceptacle pour les administrations de l'État. En témoigne par
exemple, dans le domaine qui nous intéresse, le plan de chasse à la bête du Gévaudan que l'on peut dater des années
1764-1767 adressé au comte de Saint-Florentin, ministre de Louis XV et aujourd'hui conservé par les Archives nationales
dans la série des archives de l'administration moderne consacrée à l'agriculture. Entre le vocabulaire employé par l'auteur
du plan et celui du rédacteur de la notice de l'inventaire des archives, le point de vue est différent : d'un côté celui,
contemporain des événements, qui épouse le sentiment des victimes, de l'autre celui, distant, qui se veut objectif,
décrivant des documents produits par une administration. Donc deux regards, deux points de vue qui doivent être reliés.
Le vocabulaire utilisé au cours du temps par les archivistes des Archives nationales dans les inventaires qu'ils
ont produits, relatif à ce que nous appelons « les nuisibles », animaux et plantes nuisibles, s'il reflète d'une part l'époque
de sa rédaction, peut également porter en lui la trace de l'administration et de l'époque qu'il décrit. Ce vocabulaire
exprime d'abord l'action représentée par l'archive décrite, qui est souvent juridique et montre la volonté de protéger la
société victime. Le vocabulaire utilisé est issu plus tard d'une nomenclature réglementaire puis émane d'une politique
oscillant entre éradication et conservation. Les points de vue varient suivant les services administratifs : pour une période
récente, les archives seront décrites différemment selon qu'elles proviennent du bureau de la Chasse rattaché à la
direction de la Nature et des Paysages du ministère de l'Écologie, ou de la direction de la Protection et de la Valorisation
des Espèces, ou de la direction de la Prévention des Risques, ou enfin du bureau des Réserves et Parcs nationaux.
La manière dont le travail de l'administration est livré aux historiens, c'est-à-dire l'étude de la mise en archives,
(collecte, chronologie des versements, description des documents archivés), permet donc de faire apparaître l'évolution
d'une notion sociale, et lui donne une épaisseur historique. L'historien, consultant sur Internet les inventaires
dématérialisés des Archives nationales, devra pour faire sa recherche, suivre un double jeu de pistes : pour retrouver ou
découvrir les documents qui l'intéressent dans le système informatique qui aujourd'hui les décrit, il devra s'interroger sur
le vocabulaire utilisé par le producteur des documents, l'administration, puis par son médiateur, l'archiviste, oscillant
entre le vocabulaire générique d'une époque peu tournée vers l'histoire de la protection des espèces, et celui, précis, d'une
société contemporaine soucieuse d'écologie et de santé publique.
LES RENARDS FACE A LA RAGE (FRANCE, 1968-1998)
Par Nicolas BARON
Agrégé d’histoire-géographie, doctorant en histoire, LARHRA, Lyon 3
En mars 1968, un renard roux (Vulpes vulpes) atteint de la rage fut découvert à Montenach en Moselle. Ce fut le
début d'une épizootie rabique inédite en France au sein de l'espèce vulpine tant par sa durée, trente ans de 1968 à 1998,
que par son ampleur géographique, un grand quart nordest du territoire national. Pour un animal déjà classé comme
nuisible en raison des dégâts qu'il pouvait occasionner dans la basse-cour et chez le gibier, cette survenue de la rage eut
des conséquences majeures à l'échelle des individus et de l'espèce.
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En adoptant « le point de vue animal » et en menant « une histoire éthologique », nous pouvons essayer de
reconstituer le vécu des renards face à la rage en France entre 1968 et 1998. Dans cette optique, nouvelle sur le plan
historiographique, trois points peuvent être abordés :
1) Les renards sont malades. C'est à la suite d'une morsure par un animal contaminé, le plus souvent un congénère, que
les renards contractent le virus de la rage. Après une incubation asymptomatique de quelques semaines, ils ressentent
brutalement des troubles physiques et comportementaux particulièrement graves (paralysie, perte de l'instinct de survie,
agressivité…) et décèdent au bout de quelques jours de cette maladie incurable après avoir peut-être transmis la rage à
leur tour. Le front rabique avance très rapidement, de plusieurs dizaines de kilomètres chaque année, en particulier à la
suite des contacts entre individus liés au rut puis à la dispersion des renardeaux, et provoque la mort, en trente ans, d'au
moins 38 000 renards dans le nord-est de la France.
2) Les renards sont persécutés puis vaccinés. Devenus vecteurs potentiels d'une zoonose redoutable en raison de la
virulence de leur salive, les renards subissent des mesures radicales mises en place dès le début de l'épizootie par les
hommes qui se méfient de cet animal « doublement nuisible ». Habitués à devoir échapper aux balles ou aux pièges des
chasseurs, les renards sont victimes de nouvelles pratiques (tirs de nuit, gazage des terriers, charniers empoisonnés) qui
entraînent la mort, souvent douloureuse, de centaines de milliers d'individus et qui créent des déséquilibres dans la
population vulpine qui ne font qu'aggraver la propagation du virus. À partir de 1986-1987, les renards de France vont
être vaccinés oralement à l'aide d'un appât disséminé dans la nature, cette opération indolore pour l'animal étant
couronnée de succès puisque le dernier renard enragé est recensé en 1998.
3) Les renards s'adaptent. L'espèce vulpine ne reste pas sans réagir face à cette double menace qui pèse sur elle, à savoir
la rage et les mesures d'éradication. En effet, malgré des pertes annuelles de plus de 50 % sur certains territoires, elle
parvient à reconstituer ses effectifs très rapidement en augmentant sa fécondité de façon significative. Par ailleurs, en
tant qu'animaux omnivores et opportunistes, les renards s'implantent au sein des aires urbaines, dans des zones où la
densité humaine interdit l'utilisation des mesures d'éradication et offre d'importantes ressources alimentaires comme les
déchets ménagers. Enfin, les individus qui possèdent un comportement plus solitaire et plus méfiant vis-à-vis de leurs
congénères sont ceux qui, en évitant les contacts, vont limiter les risques de contamination, ce qui va au final modifier la
structure sociale de l'espèce.
Pour cette étude, l'historien dispose de sources documentaires nombreuses et variées. Les bulletins
épidémiologiques, les articles et les thèses vétérinaires permettent de se faire une idée très précise des modes de
contamination et des symptômes des renards enragés ainsi que des techniques d'éradication et de vaccination qui leur
sont appliquées. Ces données scientifiques sont à mettre en relation avec les connaissances toujours plus fines de l'écoéthologie du renard roux en France qui sont livrées dans des revues naturalistes (La Hulotte, La Salamandre), dans des
ouvrages de référence par des spécialistes reconnus (M. ARTOIS, J-S. MEIA) et dans les thèses vétérinaires.
QUE LA PESTE SOIT DE L’ANIMAL ! LA LEGISLATION A L’ENCONTRE DES ANIMAUX
EN PERIODE D’EPIDEMIES DANS LES VILLES DES PAYS-BAS MERIDIONAUX ET DE
LA PRINCIPAUTE DE LIEGE (1600-1669)
Par William RIGUELLE
Doctorant en histoire, université catholique de Louvain
Parmi l’ensemble des mesures législatives adoptées par les autorités en période de peste, force est de constater
que l’historiographie insiste relativement peu sur la place de l’animal. Celui-ci occupe pourtant une position centrale dans
la règlementation lorsqu’il s’agit pour les administrateurs d’adopter une série de dispositions prophylactiques afin de
prémunir la ville contre la « maladie contagieuse ». Dans le contexte de la théorie miasmatique, les bêtes sont perçues
comme portant dans leurs entrailles et dans leurs poils ou plumes de la vapeur pourrie qui est susceptible de s’élever
dans l’air et de le corrompre5. Sous la menace d’épidémies, l’animal présent dans le périmètre urbain devient donc un
être « nuisible », indésirable, dont il convient de limiter l’élevage ou la circulation pour des motifs sanitaires.
Mobilisant essentiellement des sources législatives, cette communication se propose d’analyser la
règlementation des autorités centrales et locales à l’égard des animaux en temps de peste. Quelles sont les espèces
considérées comme « nuisibles » ? Comment le pouvoir fait-il face au danger qu’elles représentent ? Quels sont les
normes prescrites et les moyens mis en place pour lutter contre cette nuisance ? Autant d’interrogations qui contribuent
à étudier l’attitude des gouvernants, mais qui mettent également en lumière le regard porté par l’homme sur l’animal ainsi
que « le statut que ce regard leur confère »6.
Ces objectifs seront abordés au travers des villes des Pays-Bas méridionaux et de la principauté de Liège, dans
un cadre chronologique qui s’échelonne du début du XVIIe siècle à 1668, date à laquelle la peste se manifeste pour la
dernière fois dans ces régions.
5 Mathias de GRATI, Discours de droit moral et politique qui peut servir de remède tant contre la peste des villes et états que contre celle de l’âme et du corps, Liège, Henry
Hovius, 1676, p. 13 ; Jean-Noël BIRABEN, Les hommes et la peste en France et dans les pays européens et méditerranéens. t. 2. Les hommes face à la peste, Paris-La
Haye, Mouton, 1976, p. 25, 180. Sur la théorie des miasmes, voir notamment : Alain CORBIN, Le miasme et la jonquille. L’odorat et l’imaginaire social XVIIIeXIX e siècles, Paris, Aubier Montaigne, 1982.
6 Corine BECK, Éric FABRE, « L’animal, l’histoire et l’histoire naturelle. Un mariage à trois est-il possible ? », Études rurales, n° 189 (2012), p. 107.
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15h45 Thème 7
Le nuisible et la mer
Modérateur : Martine BIGAN
Chargée de mission espèces marines au ministère de l’Écologie de 2005 à 2014
DE LA NUISIBILITE A LA PATRIMONIALITE EN MILIEU MARIN
L'HISTOIRE D'UNE AMBIGUÏTE ENTRETENUE
Par Patrick LE MAO et Nicolas DESROY
IFREMER-CRESCO, ODE-UL-LERBN
Jérôme FOURNIER
CNRS, UMR 7208 BOREA
Laurent GODET
CNRS, UMR 6554 LETG
et Éric THIEBAUT
UPMC, UMR 7144 Adaptation et Diversité en milieu marin
L’évolution spatio-temporelle de la notion de nuisibilité d’espèces autochtones en milieu marin est explorée à
travers plusieurs études de cas (e.g. Sabellaria alveolata, Sabellaria spinulosa, Lanice conchilega). La présence de ces espèces peut
être perçue comme une gêne pour certains usages anthropiques. Elles sont donc classées comme des « nuisibles » ou
une « nuisance ». Ces notions évoluent aussi vite que les pratiques économiques ou récréatives développées en milieu
marin mais aussi de l’intérêt qu’ont pu leur consacrer les scientifiques, au point que les habitats façonnés par ces trois
espèces sont devenus « patrimoniaux », même si cette notion, souvent mal définie, n’est pas unanimement partagée sur
l’ensemble du littoral.
Nous analyserons également l’apparition et le développement souvent qualifié d’ « invasif » de certaines espèces
allochtones (e.g. Crepidula fornicata, Crassostrea gigas, Venerupis philippinarum, …) dont la nuisibilité proclamée (et parfois
avérée pour certaines activités économiques) varie en fonction des usages qui se développent autour de leur présence. Le
passage de nuisance à ressource halieutique, par exemple, entraîne une évolution des réglementations concernant ces
espèces : de la destruction obligatoire à la gestion du stock avec mise en œuvre de « prélèvements raisonnés » voire de
réensemencement pour pallier une surexploitation !
Enfin, nous évoquerons la perte de la mémoire collective et partagée pour certaines espèces ou habitats marins
en prenant pour exemple la Zostère Zostera marina. La quasi-disparition des immenses herbiers se développant sur nos
côtes au début des années 1930 n’a été suivie que par une très lente recolonisation jusqu’aux années 1980, avec une
notable accélération depuis cette date. La perte de références mémorielles sur l’abondance de cette espèce au début du
XXème siècle, jointe à la profonde mutation des usages économiques et récréatifs sur le littoral pendant sa période de
raréfaction, font que le retour de cette espèce, qui réjouit les scientifiques et les écologues, induit auprès des usagers du
littoral les mêmes inquiétudes que l’apparition d’espèces allochtones. Ceci provoque des phénomènes de rejet car le
retour de ces herbiers est parfois perçu comme une « invasion anormale » et souvent vécu comme une nuisance pour les
activités de loisir devenue dominantes en milieu littoral (baignade, installations de mouillages, etc.).
Au travers de ces situations multiples, prises parmi des éléments communs de notre faune et flore marine, nous
mettons en lumière que la notion de « nuisibilité » ou de « patrimonialité » est une construction culturelle liée à une unité
de temps ou de lieu dont les composants évoluent en fonction des perceptions changeantes qu’ont les populations
littorales de leur environnement et des composantes du patrimoine naturel, mais aussi de l’intérêt qu’ont bien voulu
accorder les scientifiques à certaines espèces ou habitats.
AUDOUIN, J. V., & MILNE-EDWARDS, H. (1832). Recherches pour servir à l'histoire naturelle du littoral de la France, ou,
Recueil de mémoires sur l'anatomie, la physiologie, la classification et les mœurs des animaux de nos côtes: ouvrage
accompagné de planches faites d'après nature (Vol. 2). Crochard.
BASUYAUX O. (2011). Etude et cartographie de Sabellaria alveolata sur la côte ouest du département de la Manche. Focus
sur les abords de Granville. Rapport SMEL / CE–env/2011-01
BLANCHARD, M. (1995). Origine et état de la population de Crepidula fornicata (Gastropoda Prosobranchia) sur le littoral
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Colloque « Sales bêtes ! Mauvaise herbes ! « Nuisible », une notion en débat »
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conséquences écologiques (Doctoral dissertation, Université de Bretagne occidentale-Brest).
ROPERT, M. (1999). Caractérisation et déterminisme du développement d'une population de l'annélide tubicole Lanice
conchilega (Pallas, 1766) (polychète Térébellidé) associé à la conchyliculture en Baie des Veys (Baie de Seine Occidentale)
(Doctoral dissertation).
QUEL NUISIBLE EN MILIEU « HOSTILE » ? LE CAS DU MARIN PECHEUR
HAUTURIER, DERNIER CHASSEUR CUEILLEUR MODERNE
Par Jérémie BRUGIDOU
Doctorant, ESTCA, Paris 8
et Fabien CLOUETTE
Doctorant, GTM-CRESPPA, Paris 8
Nous étudierons le rapport entre la diversité des discours sur une « nature » nuisible de la part des acteurs du
monde de la pêche hauturière en Bretagne et la diversité des profils de ces acteurs. Notre proposition part d’une double
interrogation. La première est d’interroger la possibilité du nuisible dans un milieu considéré dans son ensemble comme
hostile, un monde maritime. Le milieu maritime est souvent considéré, par les chercheurs comme par ses acteurs,
comme un antimonde (BRUNET), un « no-man’s land » (paroles d’enquêtés de notre terrain dans le Fulton Fish Market
du Bronx, 2013), un « monde à part » (GEISTDORFER). Si tout le milieu est vu comme pouvant nuire à l’homme, la
question du nuisible, souvent pensée en regard d’un confort terrien peut-elle avoir une place ? Quelles définitions peut-il
recueillir selon les acteurs humains de ce no-man’s land ?
La deuxième est de poser la question du nuisible sur un terrain de chasseurs cueilleurs, et non de cultivateurs.
L’on sait depuis les travaux de DESCOLA que le cueilleur compose avec le sauvage autant que le cultivateur, mais dans un
rapport très différent à l’appropriation. Si le métier de pêcheur hauturier s’approche d’avantage des pratiques de type
chasseur-cueilleur, comment interpréter la recrudescence des alertes au nuisible dans ces milieux sans barrières ? Est-ce
un phénomène inhérent à toute présence humaine dans un milieu, ou n’est-ce pas plutôt une contamination depuis
l’écologie mentale industrielle, voire une stratégie clé dans le processus d’appropriation et d’exploitation des milieux ?
Grace à une ethnographie fine des traits de chalut au large de l’Irlande et des débarquements dans les criées
bretonnes, engagée depuis un an et demi, et à des entretiens embarqués, nous pouvons non seulement mettre en avant
les différences de perception qu’il peut y avoir entre marins et armateurs industriels, mais aussi ceux qui peuvent exister
sur le bateau entre matelots et patrons-pêcheurs. Puisqu’évidemment le rapport et les stratégies pour composer vis-à-vis
d’une nature nuisible, ou à l’hostilité d’un milieu, n’est pas la même sur le pont que dans l’habitacle de commandement :
d’un côté il y aura les harnais, de l’autre les écrans de contrôle des courants et des fonds.
Nous voulons dans un premier temps montrer que le nuisible garde son rôle de rouage dynamique dans la
création d’une écologie (« un partage du sensible » J. RANCIERE), a fortiori quand cette écologie déplace aussi la frontière
de ce qui est habitable pour l’homme. À travers une remise en question des quatre modes d’appropriation de la nature de
l’anthropocène énoncés par LATOUR (Logos, Nomos, Theos, Cosmos), et par une étude fine des considérations sur les
espèces pêchées et du vocabulaire qui lui est associé à terre et en mer – ressource, stock, rejets, mais aussi tout le travail
de taxonomie différenciant l’animal de la viande (ex. : Eglefin/Haddock) – nous tenterons de mettre en avant les écarts
entre cette écologie de la frontière, celle des marins, et l’écologie (ou plutôt économie gestionnaire) industrielle pensée
depuis les bureaux des armements.
Nous verrons aussi que cette distribution cosmologique participe, pour les matelots, à un processus de création
d’une communauté, et non simplement un travail de composition avec la « Nature ». Nous faisons un travail de veille sur
Facebook auprès de différentes communautés de marins-pêcheurs, groupes au sein desquels sont partagées,
commentées, likées chaque semaine des images de prises monumentales, photos dont l’objectif est surtout d’ancrer une
identité de marin certes “évidente” mais aussi “flottante” (GESCHIERE), et non, contrairement aux professionnels du
secteur à terre, de représenter un rapport au monde et à la nature sauvage.
En somme on aurait comme modèles (mais pas exclusifs) prenant le nuisible comme rouage :
Colloque « Sales bêtes ! Mauvaise herbes ! « Nuisible », une notion en débat »
Livret des résumés
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marins <—nuisible—> marins
ici le nuisible fabrique du réseau
armateurs —nuisible—> nature
ici le nuisible est une stratégie normative de territorialisation.
La représentation normée du milieu hostile et des espèces utiles et nuisibles, dont participe une hiérarchisation
taxinomique précise, disposerait avant tout d’un objectif marchand pour les industriels, et d’un objectif social pour les
matelots. Nous verrons cependant qu’à travers un processus hégémonique (ROSEBERRY) l’objectif économique a
tendance, notamment en temps de crise, à s’imposer aussi parmi les matelots. Ainsi, la question de l’obligation de
débarquement des espèces indésirables et de leur imputation sur les quotas sera examinée tout particulièrement lors de
l’intervention, d’autant qu’elle pose autrement la question du nuisible : s’installe dans le débat public la question du marin
pêcheur lui même tantôt perçu comme « espèce à protéger », « en voie de disparition » ou comme « nuisible ».
GENESE ET METAMORPHOSES DU NUISIBLE
ANIMAUX MARINS ET SOCIETES OCCIDENTALES (XVIIE-XXIE S.)
Par Daniel FAGET
Historien. CNRS-UMR 7303 TELEMME, Aix-Marseille Université
Longtemps considéré comme le refuge de créatures diaboliques [CORBIN, 1988], le milieu marin change
progressivement de visage au cours des deux derniers siècles de l’époque moderne [CABANTOUS, 1990]. Ce
désenchantement progressif des mondes maritimes, encouragé par les effets de la déchristianisation et l’essor des
approches naturalistes, se traduit au début de la période contemporaine par l’émergence d’une stricte séparation du
vivant entre animaux utiles et animaux nuisibles, désormais légitimée par la littérature scientifique du XIXe siècle. La
communication proposée, en retraçant les étapes de cette métamorphose, envisagera la place tenue dans ce processus par
les représentants de la mégafaune marine, delphinidés et pinnipèdes. Peut-être aggravée par des changements
comportementaux liés à des forçages anthropiques sur la ressource halieutique [ANTOINE, 1993], la détestation
croissante des mammifères marins aboutit au début du XXe siècle à la formalisation d’une pensée exterminatrice [FAGET
2009]. D’abord exprimée en France au sein du ministère de la Marine, celle-ci fait l’objet de pratiques expérimentales
avant la Seconde Guerre Mondiale. Elle trouve un relais éphémère dans le cadre des politiques autarciques du régime
fasciste en Italie. Après avoir analysé les éléments essentiels de ces politiques, la communication abordera le brutal
retournement de la représentation de ces grands animaux survenu dans le monde occidental à partir des Trente
Glorieuses. On soulignera les ambigüités qui accompagnent l’engouement de nos sociétés pour certaines espèces
devenues emblématiques d’une nouvelle relation tissée entre les sociétés humaines et le milieu marin. La fonction de «
passeur de nature » actuellement revêtue par le dauphin sera à cet égard explicitée, en contrepoint de l’affirmation très
contemporaine de nouvelles figures marines du nuisible (requins, méduses, et cténaires).
S’appuyant sur les écrits des naturalistes, des biologistes et des océanologues, cette étude utilisera en parallèle les
sources produites par les communautés de pêche (prud’homies méditerranéennes) ou les représentants des
administrations locales et de l’État (conseils généraux, préfectures, ministères). Elle fera appel aussi aux sources
iconographiques (presse populaire du XIXe siècle, production cinématographique et publicités contemporaines).
ANTOINE Loïc, « Les mammifères marins, la pêche et l’homme », Recherches marines, IFREMER, n°5, octobre 1993,
CABANTOUS A., Le ciel dans la mer. Christianisme et civilisation maritime (XVIe-XIXe siècle), Paris, Fayard, 1990.
CORBIN A., Le territoire du vide. L’Occident et le désir de rivage (1750-1840), Paris, Aubier, 1988.
FAGET D., « Les tueries de dauphins en Méditerranée ou l’impossible rationalisation d’un massacre (XIXe-milieu
XXe s.) », Provence historique, t. LIX, fasc. 237, juillet-août-septembre 2009.
FAGET D.: «Pour une approche transdisciplinaire de l'histoire maritime : l'étude des colonies d'hermelles Sabellaria
alveolata (Linné 1767) à Marseille (France) à la fin du XIXe siècle», Mésogée, n° 63, MHN de Marseille, 2007, p. 27-37.
Conclusion
Par Jacques WINTERGERST
Adjoint au sous-directeur de la protection et de la valorisation des espèces et de leurs milieux à la direction de
l'eau et de la biodiversité (DGALN)
Colloque « Sales bêtes ! Mauvaise herbes ! « Nuisible », une notion en débat »
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Comité scientifique
ARPIN Isabelle. Sociologue. AHPNE / IRSTEA
FROMAGEAU Jérôme. Historien du droit de
BARATAY Éric. Historien. LARHRA-Université Lyon 3 l’environnement. AHPNE / Université Paris XI
BECK Corinne. Historienne. CALHISTE, Université de LUGLIA Rémi (Coordinateur). Historien. AHPNE /
Valenciennes
CRHQ (UMR 6583) et Pôle Rural - Université de Caen
de Franche-Comté
honoraire du CNRS (Centre Max Weber)
BUEB Renaud. Historien du droit. AHPNE / Université MICOUD André. Sociologue. Directeur de recherche
BURIDANT Jérôme. Géographe. Université de Picardie MORICEAU Jean-Marc. Historien. CRHQ (UMR
6583) et Pôle Rural - Université de Caen
CHANSIGAUD Valérie. Historienne. AHPNE /
MOUTOU François. Vétérinaire. Épidémiologiste à
SPHERE (Paris-7)
FRIOUX Stéphane. Historien. LARHRA - Université
Lyon 2
l’ANSES
PARMENTIER
Isabelle.
Historienne.
PolleN
-
Historienne.
PolleN
-
Université de Namur
Comité d’organisation
CHANSIGAUD Valérie. Historienne. AHPNE / PARMENTIER
SPHERE (Paris-7)
Isabelle.
Université de Namur
CORVOL-DESSERT Andrée. Historienne. Académie RICHARD Emmanuelle. Fondation François SOMMER
d’agriculture
SIBLET Jean-Philippe. MNHN – Service du Patrimoine
FEVRIER Patrick. Comité d’histoire du MEDDE
Naturel
PROFIT Geneviève. Conservateur du patrimoine.
Archives nationales
LUGLIA Rémi (Coordinateur). Historien. AHPNE /
CRHQ (UMR 6583) et Pôle Rural - Université de Caen
Informations pratiques
Entrée sur présentation d’une pièce d’identité
Inscription préalable obligatoire et dans la limite des places disponibles
http://enqueteur.cgedd.developpement-durable.gouv.fr/index.php?sid=23248&lang=fr
Contact : nuisibles@unicaen.fr
Lieu
Ministère de l’Environnement,
de l’énergie et de la Mer
Tour Séquoia
92055 La Defense cedex
Bus
N° 73, 141, 158, 159, 161, 174, 172, 258, 262,
272, 278, 344, 360, 378, Balabus
Tram (T2) station La Défense
Métro (Ligne 1) / RER (Ligne A)
station La Défense
Sortie A Dôme
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