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Statues-menhirs et pierres levées du Néolithique à aujourd’hui Direction régionale des affaires culturelles Languedoc-Roussillon Groupe Archéologique du Saint-Ponais Statues-menhirs et pierres levées du Néolithique à aujourd’hui Actes du 3e colloque international sur la statuaire mégalithique, Saint-Pons-de-Thomières, du 12 au 16 septembre 2012 Sous le parrainage de M. Jean GUILAINE Professeur honoraire au Collège de France, membre de l’Institut Edité sous la direction de Gabriel RODRIGUEZ et Henri MARCHESI 2015 1 Publication réalisée grâce aux concours apportés par : Direction régionale des affaires culturelles Languedoc-Roussillon, Service régional de l’archéologie Conseil général de l’Hérault Parc naturel régional du Haut-Languedoc Communauté de communes de la Montagne du Haut-Languedoc Communauté de communes du Pays Saint-Ponais Pays Haut-Languedoc et Vignobles Ville de Saint-Pons-de-Thomières Groupe Archéologique du Saint-Ponais et UMR 5608 TRACES, Travaux et Recherches Archéologiques sur les Cultures, les Espaces et les Sociétés, Université de Toulouse Jean Jaurès UMR 5140 ASM, Archéologie des Sociétés Méditerranéennes, Université Paul-Valéry, Montpellier UMR 7269 LAMPEA, Laboratoire Méditerranéen de Préhistoire Europe Afrique, Aix-Marseille-Université Cet ouvrage peut être commandé à : Groupe archéologique du Saint-Ponais Musée de préhistoire régionale 8 Grand’Rue 34220 Saint-Pons-de-Thomières mf2b@laposte.net Mise en page et impression : Imprimerie Maraval RD 612 - Z.A.E. Les Carrières - Courniou 34220 Saint-Pons-de-Thomières ISBN : 978-2-914825-08-5 © 2015 pour tous pays SOMMAIRE Préface : Josian CABROL, Président de la Communauté de communes du pays Saint-Ponais ....................................................................p. 7 Préface : Henri MARCHESI, Conservateur régional de l’archéologie Languedoc-Roussillon ........................................................................p. 8 Avant-propos : Gabriel RODRIGUEZ, Président du GASP ........................................................................................................................................p. 9-11 Introduction : Jean GUILAINE .................................................................................................................p. 12-14 André D’ANNA D’un colloque de Saint-Pons à l’autre, quinze ans de recherche sur les pierres dressées et la statuaire néolithique...................................................................................................................................................p. 15-26 Océanie et Afrique Tamara MARIC et Henri MARCHESI Pierres dressées et tiki de Polynésie orientale............................................................................................p. 29-39 Nicolas CAUWE Les statues de l’île de Pâques .....................................................................................................................p. 41-50 Sophie CORSON, Jean-Paul CROS, Roger JOUSSAUME, et Régis BERNARD Gravures et peintures sur les stèles phalliques du site de Chelba-Tutitti en pays Gédéo (Ethiopie).......p. 51-66 Alain GALLAY Pierres levées du Sénégal et sociétés lignagères segmentaires .................................................................p. 67-78 Europe de l’Est et Asie Viktor TRIFONOV Représentation, par similitude, de l’art mégalithique dans le Caucase occidental, en Crimée et en Europe occidentale .....................................................................................................................................p. 81-88 Jérôme MAGAIL Les stèles ornées de Mongolie dites "pierres à cerfs", de la fin de l’âge du Bronze .............................p. 89-101 Ergül KODAş Piliers au PPNA final-PPNB ancien au nord du Proche-Orient : élément symbolique ou système architectural ? .......................................................................................................................................p. 103-114 Ergül KODAş Les stèles d’Hakkâri 5 (nord du Proche-Orient) : nouvelles réflexions sur leur identification chronoculturelle .................................................................................................................................................p. 115-122 Christian JEUNESSE Les statues-menhirs de Méditerranée occidentale et les steppes. Nouvelles perspectives....................p. 123-138 4 Europe de l’Ouest Chris SCARRE Les pierres dressées en Grande-Bretagne : chronologie, symbolisme et traditions préhistoriques ....p. 141-151 Jean-Marc LARGE L’apport nouveau des files de pierres dressées de l’île d’Hoedic (Morbihan) .....................................p. 153-163 Gérard BENETEAU-DOUILLARD Une statuaire mégalithique par sélection des formes naturelles de la roche. Modalités d’extraction, de façonnage et de démantèlement des pierres dressées anthropomorphes en Centre-Ouest.............p. 165-174 Luc LAPORTE Menhirs et dolmens : deux facettes complémentaires du mégalithisme atlantique ? .........................p. 175-191 Alain BENARD, Daniel SIMONIN, et Jacques TARRETE Les stèles et rochers gravés néolithiques de la moyenne vallée de l’Essonne......................................p. 193-209 Jean-Luc RENAUD Menhirs d’Eure-et-Loir, inventaire, découvertes et enseignements .....................................................p. 211-218 Joël LECORNEC Pierres dressées armoricaines de l’âge du Fer ......................................................................................p. 219-225 Patrick Le CADRE Stèles de l’âge du Fer en Loire-Atlantique ............................................................................................p. 227-229 Joël LECORNEC De nouvelles gravures mégalithiques armoricaines..............................................................................p. 231-234 Bertrand POISSONNIER Expérimenter l’érection mégalithique : une aide à la lecture archéologique des pierres dressées ....p. 235-240 La Méditerranée Manuel CALADO Menhirs of Portugal : all Quiet on the Western Front ?.......................................................................p. 243-253 Ana Lúcia FERRAZ SÁ VIANA Nouvelles données sur les stèles décorées néolithiques de l’Alentejo Central (Portugal) ...................p. 255-267 Pablo MARTINEZ-RODRIGUEZ, Andreu MOYA i GARRA et Joan B. LOPEZ MELCION Catalunya, tierra de colosos. Las estatuas-menhires decoradas del Neolítico final-Calcolítico catalán : singularidades y vínculos con la estatuaria del Midi francés................................................p. 269-284 Florian SOULA Les pierres dressées de Sardaigne : statues-menhirs et monolithes décorés. Chronologie, géographie, nouvelles hypothèses...............................................................................................................................p. 285-297 Franck LEANDRI, Kewin PECHE-QUILICHINI et Joseph CESARI Iconographie comparée et contextualisée des statues-menhirs corses et des bronzetti anthropomorphes sardes .......................................................................................................................p. 299-311 André D’ANNA Les pierres dressées et les statues-menhirs de Corse : contextes, chronologie, origines .....................p. 313-327 Pierre-Jérôme REY, Odile FRANC, Bernard MOULIN et Serge FUDRAL Nouvelles données, nouveau regard sur le cercle de pierres dressées du col du Petit-Saint-Bernard (Savoie - Val d’Aoste)..............................................................................................................................p. 329-344 5 Marc et Marie-Christine BORDREUIL Les pierres levées et statues-menhirs néolithiques porteuses de cupules, dans le midi de la France .p. 345-350 Gabriel RODRIGUEZ La statuaire et les saintponiens en Haut-Languedoc ............................................................................p. 351-365 Michel MAILLÉ Menhirs et statues-menhirs : témoins de territoires disparus ? ............................................................p. 367-380 Joan B. LÓPEZ MELCION, Andreu MOYA GARRA et Pablo MARTÍNEZ RODRÍGUEZ Els Reguers de Seró (Artesa de Segre, Catalogne) : Un nouveau mégalithe avec des statues-menhirs anthropomorphes sculptées en réemploi................................................................................................p. 381-396 Philippe GALANT, Richard VILLEMÉJEANNE, Aurélien ÉTIENNE, Laurent BRUXELLES et Jean-Yves BOSCHI Découverte de deux stèles en contexte Néolithique final sur le site de la Baumelle à Blandas (Gard) ....p. 397-405 Jean GASCÓ et Michel MAILLÉ A propos de la fouille datée de menhirs et de statues-menhirs en place : les exemples de Montalet (Lacaune, Tarn) et de Saint-Bauzille (Les Verreries-de-Moussans, Hérault)......................................p. 407-422 Philippe HAMEAU Les versions peintes et gravées des figures de l’expression mégalithique............................................p. 423-432 Dominique GARCIA et Philippe GRUAT Stèles, stèles-panoplie et bustes du Premier âge du Fer en Gaule méridionale. État de la question ..p. 433-442 Primavera BUENO RAMIREZ, Rodrigo BALBIN BEHRMANN et Rosa BARROSO BERMEJO Human images, images of ancestors, identity images. The south of the Iberian Peninsula ...............p. 443-455 Laurence PINET et Pierre ROSTAN Une nouvelle stèle ornée dans les Alpes méridionales (Tallard, Hautes-Alpes)...................................p. 457-463 Noisette BEC DRELON La stèle du Mas Delon (Le Puech, Hérault) : analyse morpho-typologique et implantation d’un mégalithe en Lodévois ............................................................................................................................p. 465-469 Richard PELLE Un menhir découvert sur le littoral languedocien, à Mauguio (Hérault) ............................................p. 471-475 Christian SERVELLE De la matière première aux gestes du sculpteur : limites d’interprétation des statues-menhirs du Haut-Languedoc et du Rouergue...........................................................................................................p. 477-482 Jean-Paul CROS, Jean-Claude RIVIERE, Jean GASCÓ Compte-rendu des débats........................................................................................................................p. 483-497 Conclusion Jean GUILAINE Quatre jours parmi des pierres dressées ................................................................................................p. 499-503 6 La Méditerranée Découverte de deux stèles en contexte Néolithique final sur le site de la Baumelle à Blandas (Gard) Philippe Galant, Richard Villeméjeanne, Aurélien Étienne, Laurent Bruxelles et Jean-Yves Boschi Résumé : C’est au cours d’une exploration que des spéléologues ont découvert au fond d’une cavité un menhir en place qui portait des gravures. L’étude a montré que ce monolithe participait à un dispositif de condamnation d’une doline d’effondrement. Lors de ce dégagement, un passage a permis l’accès à la suite de la grotte. Close depuis 5 000 ans, la galerie recélait de nombreux aménagements et du mobilier en place. Cette cavité, utilisée comme grotte-citerne et grotte sépulcrale, se trouvait au centre d’un habitat. Une deuxième stèle gravée a été trouvée dans le comblement de l’entrée de la grotte. De par leur morphologie, ces stèles se rapprochent des statue-menhirs de la région des garrigues languedociennes. Elles se trouvaient associées à un site d’habitat. La révision des données archéologiques indique que ce fait semble très fréquent en Languedoc oriental. Abstract : In the course of a caving expedition speleologists discovered a menhir with engravings still in its original position at the bottom of a cave. Further study showed that this monolith formed part of the blocking of a collapsed sinkhole. During the clearance of this material, a passage was opened up allowing access to the rest of the cave. The gallery had been closed off for 5 000 years and contained numerous features and artefactual material still in situ. The cave was located at the centre of a settlement site and had served as a cistern and a burial place. A second engraved stele was found in the blocking of the cave entrance. From a morphological perspective, these steles are similar to statue-menhirs of the region of the Languedoc garrigues. They were associated with a settlement site. A review of the archaeological evidence indicates that this seems very often to be the case in oriental Languedoc. Mots-clés : stèles gravées, habitat, Néolithique final, grotte citerne, grotte sépulcrale, art schématique. Keywords : engraved stelae, settlement, Final Neolithic, cave cistern, burial cave, schematic art. Le Causse de Blandas est un petit plateau calcaire d’environ 150 km2. Il s’étend sur la bordure méridionale de la région des Grands-Causses (fig. 1). Son relief karstique caractéristique est délimité par la vallée de l’Arre au nord, les gorges de la Vis à l’ouest et au sud, et la vallée de l’Hérault à l’est. Depuis plus d’un siècle, avec les travaux pionniers de Félix Mazauric de 1896 à 1910, cette région a été le cadre de très nombreuses recherches spéléologiques, encore effectives aujourd’hui (Villeméjeanne 1993). Les spéléologues y recensent plus de 600 cavités naturelles accessibles. Ce plateau a aussi très tôt fait l’objet de recherches archéologiques principalement orientées vers le mégalithisme. À partir de 1860, un premier inventaire réalisé par Léon Allègre révéla de nombreux dolmens et menhirs (Alègre 1862). Les recherches conduites postérieurement par Adrienne Durand-Tullou, tout au long du XXe siècle, ont développé ces premiers acquis et les ont complétés par de nombreux aspects, jusqu’alors inconnus, de l’occupation humaine à la fin du Néolithique, avec notamment la présence de trois cercles de pierres dressées (Durand-Tullou 2003). 1. Une découverte originale C’est dans le cadre de la révision de l’inventaire spéléologique de cette région, en 2009, que les spéléologues ont été amenés à ré-explorer la Baumelle, modeste cavité déjà connue anciennement (Roux 2003). Dès leur première visite, ils identifient au fond de la galerie un bloc qui se différencie très nettement des pierres environnantes, tant par sa structure rocheuse que par la régularité de sa forme (fig. 2). Ils signalent, le jour même, la découverte : un menhir dont le sommet dépasse de 13 cm dans le champ, juste à la verticale de la fin de la grotte (fig. 3). La première expertise du site, diligentée par le service de l’archéologie de la DRAC Languedoc-Roussillon, confirme les observations des spéléologues sur l’aspect totalement ouvragé du bloc qui en fait une stèle ; elle précise, en outre, le contexte du monument en y associant plusieurs indices d’une occupation de la fin du Néolithique issus de la périphérie de la grotte. La présence d’un important soutirage karstique qui menaçait l’intégrité du gisement nécessita la réalisation d’une opération de fouille de sauvetage 397 façon exemplaire, montrant ainsi l’importance d’une telle collaboration (Boschi et al. 2010). Fig. 1 - Carte de situation du Causse de Blandas et du site de la Baumelle, dans le nord-ouest du département du Gard. Fig. 2 - Le « menhir » signalé par les spéléologues. Seule la base était visible lors de la découverte de la grotte. Fig. 3 - Le sommet du monolithe dépassait de 13 cm dans le champ, à la verticale de l’extrémité de la grotte. prescrite par le Conservateur régional de l’Archéologie. Ce travail, associant les spéléologues inventeurs aux archéologues désignés, a été réalisé de 398 La fouille avait pour objectif l’extraction du monolithe tout en observant son contexte archéologique. Un large sondage ouvert depuis la surface a permis de dégager la stèle en étudiant les modalités du remplissage qui la scellait (fig. 4). Le bloc mis en forme s’est révélé être dans une situation particulière : avec deux autres dalles calcaires non ouvragées qui lui étaient contiguës, ils formaient un « coffrage » obturant la suite de la galerie. Les bases des blocs reposaient sur un talus d’éboulis et leurs sommets étaient appuyés sur la roche en place. Il s’est avéré que cette dernière constitue, ici, le bord d’une petite doline d’effondrement d’environ 10 m de diamètre. À l’arrière de ce dispositif, un comblement assez homogène composé de blocs calcaires de Fig. 4 - Vue du menhir après le dégagement partiel de la doline d’effondrement comblée volontairement lors de l’abandon du site à la fin du Néolithique. 10 à 20 cm de plus grande arête a pu être étudié. On note dans cette formation une absence de matrice sédimentaire, de litage apparent et de diversité pétrographique, ainsi qu'une grande hétérogénéité dans la disposition des éléments pour leur inclinaison et orientation. Ces observations convergent pour indiquer que cette formation n'est pas d'origine naturelle. Il s’agit d’un comblement volontaire, avec des blocs de volumes comparables, prélevés aux alentours (fig. 5). Le volume de cette formation a pu être estimé à plus de 40 m3. C’est également dans ce comblement que deux fragments constituant une deuxième stèle ouvragée ont été découverts mêlés aux autres blocs. Après le prélèvement de la grande stèle, son talus d’assise a pu être fouillé. Plusieurs fragments osseux humains ont été retrouvés groupés sous le sommet de la formation au point d’appui de la stèle. La Méditerranée Fig. 5 - L’organisation particulière du comblement à l’arrière de la stèle indique une formation non naturelle réalisée avec des blocs prélevés aux alentours. Fig. 6 - Vue générale de la partie supérieure de la nouvelle galerie découverte à l’arrière de la doline d’effondrement comblée. Ils semblent appartenir à un même individu, présentant plusieurs signes de pathologies liées à un âge avancé. certains décors céramiques traités en cannelures représentant des chevrons imbriqués non jointifs sont attribuables, en l’état actuel des connaissances, à la culture de Ferrières, horizon déjà bien documenté sur le Causse de Blandas (Boutin et Galant 2011). 2. L’identification d’un contexte archéologique Simultanément à la fouille de la stèle, des recherches ont été réalisées en périphérie de la grotte. Elles étaient destinées à approfondir les premières observations réalisées dans la cavité qui semblaient indiquer la présence d’un site à l’extérieur. Compte-tenu de la situation de l’excavation dans la partie basse d’un long versant en pente douce, des tranchées exploratoires ont été implantées dans une grande doline sous-jacente qui fait office de réceptacle naturel des formations colluviales provenant des abords du site. Les deux tranchées principales ont permis de constater que la base rocheuse du versant plonge dans le sol en conservant la pente moyenne ; elle devient ensuite, peu à peu, horizontale et se raccorde au fond de la dépression. À ce niveau, le substrat a été atteint à environ 1,2 m de profondeur. La séquence sédimentaire de comblement comporte quatre ensembles qui caractérisent l’érosion des formations colluviales et des sols qui recouvraient le versant calcaire. Vers la base, un niveau qui contenait de nombreux vestiges archéologiques (céramique, faune, industrie lithique, argile brûlée et torchis, charbons de bois) a été recoupé. Ces divers éléments et leur contexte sont caractéristiques d’une installation humaine, de type habitat. Elle était originellement établie autour de l’entrée de la cavité. L’ensemble du mobilier indique de manière parfaitement homogène un contexte chronologique du Néolithique final. Ainsi, Après cette première identification, plusieurs sondages manuels ont été réalisés dans la périphérie de l’entrée de la grotte, et de la grande stèle, afin de préciser l’extension du gisement identifié. Dans ce secteur, le substrat calcaire est sub-affleurant et plusieurs pointements rocheux sont visibles. Les sondages ont révélé des puissances sédimentaires très faibles dépassant rarement les 20 cm. Dans la plupart des cas, la rendzine reposait directement sur le substrat massif et les sédiments étaient systématiquement stériles au point de vue archéologique. Seuls quelques uns de ces sondages ont livré des indices : quelques tessons de céramiques, attribuables au Néolithique final, piégés dans des dépressions linéaires. Ces formations correspondent à des sols résiduels dont seules les diaclases plus ou moins élargies par la dissolution ont conservé des témoins. Tout le reste a été érodé postérieurement à l’abandon du site. Ces vestiges confirment néanmoins la présence du site en périphérie de la doline où se trouvaient les stèles. 3. Une trouvaille inattendue L’ouverture de la doline, par la fouille périphérique de la grande stèle, a permis de retrouver le prolongement de la cavité initiale. Celui-ci était presque totalement obstrué par le comblement anthro399 pique de la doline. Les spéléologues ont alors entrepris de rouvrir partiellement le passage afin de pouvoir s’insinuer entre le sommet du comblement et le toit de la galerie. Après une vingtaine de mètres de reptation délicate, la galerie a été retrouvée dans ses proportions initiales. Avant même son débouché, le premier spéléologue a identifié la présence de vestiges archéologiques ; il a alors cessé l’exploration. Le passage a par la suite été agrandi afin de permettre un accès plus aisé. La nouvelle galerie découverte se présente sous une forme rectiligne, d’environ 80 m de développement. Sa largeur varie de 4 à 7 m. La hauteur de voûte, quasiment nulle au départ du fait de l’accumulation de l’éboulis de condamnation provenant de l’entrée, atteint entre 6 et 10 m vers l’aval (fig. 6). Elle se termine sur une cheminée avec un point d’absorption des eaux à sa base. Ces deux prolongements possibles n’ont pas été explorés. L’ensemble du couloir contient de nombreux vestiges archéologiques en place depuis la fin du Néolithique. Devant cette situation exceptionnelle, toutes les précautions ont été prises pour éviter que le site ne soit perturbé. Une seule visite a été réalisée par un spéléologue et un archéologue, le long d’un cheminement choisi de manière à ne pas perturber les sols. Après cette évaluation patrimoniale et scientifique, et en accord avec le Conservateur régional de l’archéologie, l’entrée de la nouvelle grotte a été rebouchée afin de garantir sa conservation dans les meilleures conditions. Une première étude détaillée de la cavité a déjà été publiée (Galant et al. 2012). Pour résumer, les vestiges immobiliers concernent plusieurs aménagements liés à l’utilisation du site, probablement comme grotteciterne. On y trouve des constructions parfaitement adaptées à la morphologie spécifique du couloir : cinq murs de terrasses formaient des surfaces planes dans le talus d’éboulis ; un couloir de circulation épierré le long de la paroi est met en relation l’entrée de la grotte et son extrémité, tout en desservant les différents espaces ; un mur de séparation avec passage aménagé est situé entre la base de la pente et la partie horizontale (fig. 7). Les vestiges mobiliers sont constitués par de nombreux objets, principalement de la céramique. Certains éléments très fragmentés associés à de nombreux morceaux de charbon de bois, sont pris dans un comblement qui forme le sol dans la partie haute de la galerie. Il s’agit de remblais liés aux passages qui proviennent par gravité des sols extérieurs de l’excavation. Au contraire, d’autres vases sont intacts ou brisés en place. Ils correspondent à des récipients en usage dans la grotte et dont la conservation a évolué dans le temps. Plusieurs ossements humains sont également visibles, soit regroupés, comme un ensemble de crânes au pied d’une paroi, soit diffus dans certaines zones de la grotte, soit cimentés par la calcite sur les parois. Quelques aménagements plus particuliers ont également été identifiés : concrétions percées avec traces d’usures qui indiquent la présence probable d’un lien disposé en main courante ; un petit mur qui forme une surface plane contre la paroi ; un aplat d’argile contre une paroi maculé d’applications digitées. Un point particulier porte sur de très nombreuses traces charbonneuses présentes sur les parois. Un premier registre concerne celles qui se trouvent à proximité directe des sols de circulation. Leur répa tition semble concordante avec les aménagements constatés (bordure des terrasses, le long du couloir de circulation, murs,…). Il s’agit de plusieurs impacts et frottements courts, très caractéristiques et qui peuvent être associés à la gestion de dispositifs d’éclairage à flamme vive de type torches. D’autres traces, au contraire, Fig. 7 - Croquis topographique de l’ensemble du réseau spéléologique de la Baumelle situant la grande stèle gravée et les amé- paraissent réalisées volonnagements de la cavité. tairement, sans pour autant 400 La Méditerranée Fig. 8 - Un des panneaux révélant des tracés linéaires schématiques. Ces figurations se trouvent entre 4 et 6 m de haut par rapport au niveau des sols de circulation. présenter une organisation significative. Elles soulignent des concrétionnements ou constituent des ensembles de traits structurés. On en trouve tout au long de la cavité sur les deux parois latérales. Un second registre de traces charbonneuses est bien plus particulier. Il concerne plusieurs concentrations de traits qui forment de véritables panneaux qui recouvrent des surfaces d’environ 1 à 3 m2. Celles-ci sont situées entre 4 et 6 m de haut par rapport au niveau du sol de circulation (fig. 8). Il s’agit de représentations schématiques réalisées à partir de tracés linéaires de longueurs variables. Plusieurs similitudes semblent apparaître entre les deux registres de traces (bas et haut) : aucun point de conservation différentielle n’est notable ; les deux ensembles présentent la même structure de dépôt du colorant sur les parois ; si on admet une même chronologie entre les tracés, ceux situés les plus hauts impliquent l’utilisation de structures pour leur réalisation, échelles ou échafaudages. Dans leur ensemble, ces tracés montrent une réelle organisation en relation avec la fonction de la cavité, intérêt accentué par leur situation au sein d’un milieu clos. Les karsts méditerranéens constituent généralement des formations anciennes qui montrent d’importantes évolutions géomorphologiques. Parmi celles-ci, les mobilisations des formations superficielles, comme les couvertures de versants, ont souvent obstrué des entrées de cavités naturelles situées le long des axes majeurs de fracturation. L’action anthropique, qu’elle soit préhistorique ou historique, est également à l’origine du bouchage de certains accès au domaine souterrain. Il en résulte qu’un certain nombre de sites anciens ont pu être redécouverts au cours de recherches spéléologiques. Ces sites, souvent clos depuis plusieurs millénaires, présentent alors des aspects spectaculaires, similaires à celui de la Baumelle. La région languedocienne a révélé au cours de ce dernier siècle plusieurs découvertes spectaculaires dont la chronologie est en lien avec le développement de la pratique de la spéléologie. Dès la fin du XIXe siècle, Félix Mazauric signale dans ses publications plusieurs découvertes de vestiges anciens assez bien conservés réalisées au cours de ses explorations gardoises. Le spéléologue Robert de Joly découvrit en 1928 deux sites majeurs (pas très éloignés du site de la Baumelle) au cours de ses premières explorations spéléologiques, l’aven du Serras en 1926 et l’aven de la Figueyrolle sur la commune de Blandas dans le Gard. Dans ces deux cas ce sont uniquement des vestiges matériels qui furent retrouvés. En 1933 la découverte de la grotte de Maurous (la Vacquerie-etSaint-Martin-de-Castrie, Hérault) par l’abbé Joseph Giry constitue également un site matérialisé par une série de jarres à cordons intactes auxquelles étaient associés des vestiges sépulcraux. En 1938, les spéléologues du lodévois, qui avaient invité Robert de Joly, explorent l’aven de Sott Manit (Saint-Maurice Navacelles, Hérault) et découvrent plusieurs vases bien conservés ainsi que des aménagements destinés à la collecte des eaux d’infiltration. Ce n’est qu’à partir des années cinquante que d’autres découvertes intervinrent. Ainsi la grotte de Resplandy (Saint-Ponsde-Thomières, Hérault) en 1955 par Gabriel Rodriguez et la grotte de la Médecine (Verrières, Aveyron) en 1959 par Jacques Pomié. Ces cavités livrèrent des ensembles mobiliers et quelques traces d’aménagement. Mais les trouvailles les plus spectaculaires demeurent assez récentes. En 1978, le nouveau réseau de la grotte du Claux (Gorniès, Hérault) découvert par le Spéléo-Club Alpin Languedocien montra un important mobilier associé à plusieurs aménagements. L’aven de la Rouvière (Rogues, Gard) trouvé en 1989 par Joël Halgand. Ici encore, de très nombreux aménagements associés à un important mobilier très bien conservé, révèlent, après 15 ans de fouille, un modèle d’utilisation d’une grotte citerne associée à un habitat structuré en pierre sèche. Plus récemment, la grotte Charaix (Berrias-etCasteljau, Ardèche) trouvée en 1991 par Jean-Marie Chauvet, a livré une importante salle souterraine entièrement aménagée par de nombreuses terrasses et murs. Ces découvertes indiquent la rareté de ce type de gisement. Au regard des vestiges qui y ont été identifiés, ceux présents dans la Baumelle prennent un caractère vraiment exceptionnel tant par leur nombre, leur variété ainsi que leur état de conservation. 4. Les deux stèles découvertes Elles ont été toutes les deux retrouvées dans le dispositif de condamnation de l’entrée de la grotte. Bien qu’en position secondaire, on peut sans aucune hésitation les rattacher à l’organisation primitive du 401 épaisseur assez régulière de 0,25 m. Son poids est de 540 kg. En l’absence d’élément figuratif, il est difficile de discerner, avec objectivité, la base du sommet, le recto du verso. Nous avons choisi de le présenter selon la position qu’il avait à sa découverte. Sa base est plane et se termine en arrondis réguliers qui rejoignent les flancs. Ceux-ci sont légèrement dissymétriques : celui de droite est rectiligne et l’autre en léger arc de cercle. Il semble que ce soit la fracturation originelle de la strate d’où il a été extrait qui soit à l’origine de cette situation, accentuée par le travail de mise à plat des flancs. Le sommet, en pointe asymétrique, paraît avoir été tronqué. Les lignes de fractures sont nettement marquées. De plus, de très nombreux impacts de soc de charrue sont visibles sur les 0,26 m qui se trouvaient proches de la surface. Ces traces sont principalement marquées sur les côtés et la face arrière, indiquant un labour des terres dans le sens de la pente. Dans la moitié inférieure et sur les deux faces, des traces subparallèles plus ou moins disposées en arcs de cercles résultent de la formation naturelle de la roche. Fig. 9 - Vue générale des deux faces de la grande stèle. L’orientation haut/bas correspond à celle de la découverte. Stèle n°1 La face antérieure est celle dont la base était visible à la découverte, sa partie supérieure étant en appui contre le bord méridional de la doline d’effondrement. Globalement, son profil est rectiligne même s’il présente un très léger bombement dans sa moitié inférieure. La surface a été régularisée par piquetage dont les traces sont très bien conservées. Elles se matérialisent par de petits cratères de 0,6 à 0,9 cm de diamètre et de 0,1 à 0,3 cm de profondeur. Ces impacts, qui se recoupent parfois, indiquent un martelage à l’aide d’un outil pointu, suffisamment compact et solide pour marquer la surface du grès. Au centre et sur la droite de la face, une trace d’enlèvement d’un large éclat est bien marquée. À l’arrière, le piquetage a été continué, ce qui indique que cet accident morphologique est contemporain de la réalisation. Quelques enlèvements superficiels paraissent également anciens. Au contraire, vers le sommet et sur la droite, une légère dépression de 15 x 8 cm, profonde de 0,9 cm, présente un profil très régulier. À sa surface, aucune trace de piquetage n’est visible, nous amenant à penser qu’il s’agit là d’une déformation naturelle de la surface non affectée par la mise en forme. La particularité majeure de cette face, réside en la présence de gravures localisées dans le C11 C4 C12 Stèle n°2 C1 C2 C5 C6 Traces de soc de charrue C7 C3 Traces de déplacement C8 Gravures Cupules C9 C10 0 Face antérieure Profils Face postérieure Fig. 10 - Relevé des différentes traces observées sur les deux stèles gravées. site. De par leurs morphologies, ces pièces se révèlent assez singulières dans ce contexte géoculturel. 4.1. La grande stèle La grande stèle se présente sous la forme d’un bloc de grès avec une mise en forme quasi symétrique (fig. 9). L’étude géologique indique que l’affleurement le plus proche de ce matériau est situé à 7 km du site. Aucun autre bloc de cette roche n’a été retrouvé. Le bloc mesure 1,74 m de haut avec une largeur moyenne de 0,60 m pour une minimale de 0,50 m. Il a une 402 50cm La Méditerranée tiers médian (fig. 10). Le trait supérieur, situé à 96 cm de la base du menhir, est rectiligne avec une longueur de 53 cm. On note un léger décalage en hauteur sur la moitié du tracé située vers la droite. Le trait paraît réalisé en deux tronçons qui ne sont pas dans la même continuité. Il débute au niveau de l’angle que forment, sur la gauche, la face et le flanc et se termine 2 cm avant le bord opposé. Ce tracé est remontant de 9 cm entre ses extrémités. Il a été réalisé par piquetage. Les points d’impacts sont visibles dans la gorge. Celle-ci a une largeur moyenne de 2 cm et une profondeur régulière de 0,3 à 0,4 cm. La section du trait est en « U » très prononcé. Le deuxième trait, situé à 81 cm de la base du menhir, est subhorizontal. Il a une longueur de 49 cm. Comme le précédent, il débute au niveau de l’angle sur la gauche de la face et se termine 9 cm avant l’angle opposé. On observe que les traces de piquetage en fond de gorge sont réalisées sur deux à trois alignements. Ceci donne un trait plus large, de 2,5 à 3 cm et d’une profondeur de 0,7 à 1,1 cm. Le troisième tracé est plus complexe. Il débute verticalement à 1 cm au-dessus du trait supérieur qu’il recoupe, et descend en ligne oblique sur 33 cm, recoupant au passage le trait médian. Il marque un court retour vers la gauche de 6 cm, puis redescend en oblique sur 11 cm. Il repart alors sub-horizontalement sur 47 cm pour venir se terminer au niveau de l’angle que forment, sur la droite, la face et le flanc. Comme les précédents, il est réalisé par piquetage. On remarque néanmoins que les parties verticales sont plus étroites, de 1,8 à 2,0 cm et profondes de 0,8 à 1,1 cm que les parties subhorizontales, larges de 1,8 à 2,3 cm et profondes de 0,2 à 0,7 cm. Ceci se visualise très bien au niveau des sections des traits qui sont donc plus marquées dans le registre vertical. Trois cupules ont été réalisées dans la moitié inférieure, dont deux (C1 et C2) paraissent groupées sous le tracé médian, alors que la troisième (C3) est totalement excentrée (fig. 11). face antérieure. Cette situation est due au fait que cette face se trouvait en contact avec le comblement sédimentaire et une érosion superficielle en a altéré la conservation. Globalement, cette face présente un profil convexe assez régulier. On y trouve 7 cupules situées dans la moitié inférieure. La première (C4) est au centre du monolithe. Deux autres (C6 et C8) sont alignées dans l’axe vertical central au-dessous de la précédente. Deux sont excentrées (C5 et C7) alors que vers la base, trois autres (C8, C9 et C10) forment un triangle isocèle centré sur l’axe médian vertical. Au contraire, tout au sommet et sur une hauteur maximale de 26 cm, de très nombreuses traces d’impacts de soc de charrue sont visibles. Juste en dessous, deux traits sub-verticaux, légèrement en oblique vers l’extérieur, sont disposés en miroir par rapport à l’axe médian vertical. La surface de la roche est ici assez altérée, empêchant de voir si ces tracés ont été réalisés par piquetage. Cette position, ainsi que cette symétrie, paraissent assez particulières. Entre la base de ces traits et la cupule centrale, on peut deviner 8 traits légèrement marqués. Ils ont des longueurs et largeurs variables. Leur organisation ne montre aucune cohérence morphologique. L’observation des fonds n’indique pas de trace de piquetage alors que celles-ci sont visibles autour. Ces traits semblent résulter de frottements au sol lors de déplacements du bloc. La masse rocheuse suffit pour légèrement altérer la surface du grès sur un obstacle. La face postérieure présente, elle aussi, de nombreux impacts de piquetages de régularisation. Néanmoins, ces traces paraissent moins bien conservées que sur la                                                                                           Fig. 11 - Tableau des mesures des cupules relevées sur les stèles gravées. Les numéros renvoient à la figure n° 9. Fig. 12 - Vue de la face antérieure de la petite stèle gravée. 403 4.2. La petite stèle La petite stèle est constituée par un bloc de dolomie fortement cristallisée (fig. 12). Elle présente des dimensions beaucoup plus modestes, avec une longueur totale de 66 cm. Elle est parfaitement symétrique sur toute sa hauteur. Sa largeur est décroissante de 31 cm, à son sommet, à 17 cm, à sa base. Son épaisseur moyenne est de 14 cm. Une seule de ses faces a été partiellement régularisée à plat par bouchardage. L’autre est brute, constituée par le joint de strate originel. Seuls les flancs, sommital et supérieur gauche, sont bouchardés pour être mis à plat. Pour les autres, les morphologies sont brutes correspondant soit aux vestiges d’arrachement de la dalle, soit à son épannelage. Dans la partie haute d’une face, deux cupules artificielles disposées de façon symétrique (fig. 10, C11 et C12), pourraient indiquer les « yeux » d’une représentation anthropomorphe. 5. Une situation particulière Les deux stèles sont très différentes l’une de l’autre dans leurs proportions. Néanmoins, elles ont en commun d’avoir été ouvragées. Bien que le Causse de Blandas recèle de nombreux menhirs, dont plusieurs présentent des indices de mise en forme, elles s’en différencient par les traitements des surfaces et par la présence de gravures et cupules. Du fait du contexte archéologique, ces derniers éléments sont contemporains de la réalisation des stèles. Cette découverte complète sur un aspect inédit un ensemble mégalithique déjà bien documenté. Mises en forme et totalement ouvragées sur leurs faces avec la présence de gravures et cupules, les deux stèles ne constituent pas, au sens strict, des statuesmenhirs. Ce point pourrait, néanmoins, être discuté tant pour la grande stèle dont la forme globale et les proportions pourraient la rapprocher de certaines statues-menhirs du Languedoc oriental (Montaïon, Saint-Victor-des-Oules, Mas de la Tour,…) ; mais aussi pour la plus petite, puisque ses proportions, sa forme générale et la présence des deux cupules dans sa partie haute, ne sont pas sans rappeler les statuesmenhirs si caractéristiques de la région des garrigues Nord-montpelliéraines (Cazarils, Montferrand, Bouisset,…). Par contre, les deux stèles, pour les mêmes critères, se différencient totalement de l’ensemble de la statuaire mégalithique de la région Rouergue/Haut-Languedoc. Le contexte archéologique dans lequel les deux stèles ont été découvertes est d’un intérêt double. D’un point de vu chronoculturel, il y a une filiation bien marquée et déjà admise, avec les faciès culturels du Néolithique final/Ferrières de la région des Garrigues (Gutherz 1984, Gutherz et Jallot 1995). Cette situation 404 se répète systématiquement pour tous les gisements de la fin du Néolithique sur le Causse de Blandas lorsque des marqueurs caractéristiques sont découverts (Boutin et Galant 2011). De même, la situation des stèles dans un site probable d’habitat est intéressante. Dans la région méridionale des Grands-Causses, la présence d’une grotte-citerne semble prédestiner l’installation de lieux d’habitats. Bien que l’érosion de surface soit bien marquée sur le site de la Baumelle, il a été montré, sur d’autres gisements et au travers des analyses géomorphologiques, que les vestiges découverts marquent bien l’implantation initiale de l’établissement (Galant 2005). De même, la variété des mobiliers, avec la présence de plusieurs éléments d’argile brûlée portant des traces végétales, constitue aussi un élément discriminant. Cette situation qui concerne la présence de stèles dans un lieu d’habitat n’est pas nouvelle. Un tel contexte a déjà été identifié, notamment sur le site de Montaïon à Sanilhac-Sagriès dans le Gard (Gutherz et Jallot 1987). Depuis, les prospections conduites par Emmanuel Garnier en vue de préciser les contextes de découvertes des nombreuses statues-menhirs de cette région entre Uzège et Gorges du Gardon, ont permis de constater la présence presque systématique de sites similaires sur les lieux de découvertes. On peut donc avancer qu’il y a dans cette région du Languedoc une relation très probable entre la statuaire mégalithique et les habitats où elles devaient être mises en situation. La petite stèle a été retrouvée en position secondaire dans le dispositif de condamnation de l’entrée de la cavité. On ignore donc sa situation initiale sur le site. La plus grande était aussi en réemploi. Néanmoins, son poids et son état de conservation ne permettent pas d’envisager qu’elle ait pu être manipulée facilement. En effet, la fragilité de la roche utilisée et l’absence de trace indiquant un choc ou un mouvement « brutal », laissent penser qu’elle n’a pas été déplacée depuis un lieu situé en surface. Sa situation de découverte n’est donc pas très éloignée de celle d’origine. Elle aurait alors eu une position fonctionnelle dans la doline d’effondrement qui marque l’entrée de la grotte. De même, on peut s’interroger sur la présence groupée d’ossements humains provenant d’un même individu et placés sous le point d’appui de la stèle. N’y auraitil pas ici un lien étroit entre des reliques particulières et le monument mégalithique ? Un intérêt complémentaire à cette découverte est également donné par la présence sur le même site des tracés schématiques repérés sur les parois de la grotte (fig. 7). Cette promiscuité de deux types d’expressions symboliques est unique. Bien que relevant de techniques différentes au sein d’un lieu proche, elles sont probablement en lien avec les mêmes expressions La Méditerranée spirituelles en relation avec un fonctionnement social organisé à l’échelle d’un groupe. La découverte du site de la Baumelle et de ses composantes variées recoupe plusieurs problématiques, dont celle en lien avec la statuaire mégalithique. Par sa nature, ce gisement montre plusieurs aspects de l’organisation sociale et domestique d’un groupe humain de la fin du Néolithique. Cette variété fonctionnelle associée à la bonne conservation d’une partie du gisement (doline et grotte) et à l’étude bien cernée de la partie disparue (habitat de plein air), donne à ce gisement un potentiel archéologique important. Compte tenu de l’aspect patrimonial majeur du site souterrain, cette étude reste à conduire en garantissant une conservation maximale des vestiges, travail délicat dont on ne maîtrise pas actuellement les moyens techniques et fonctionnels nécessaires. Bibliographie ALÈGRE 1862 : Alègre (L.) - Les monuments mégalithiques du Gard, Manuscrit présenté au concours de l’Académie de Nîmes, Bibliothèque de Bagnols-sur-Cèze, Manuscrit n° 40, 1862. 91 p., 31 pl. BOSCHI et al. 2010 : Boschi (J.-Y.), Bruxelles (L.), Étienne (A.), Galant (Ph.) et Villeméjeanne (R.) - La Baumelle, une découverte archéologique majeure sur le Causse de Blandas (Gard), Spelunca, 117, 2010, p. 10-22, 36 fig. BOUTIN ET GALANT 2011 : Boutin (J.-Y.) et Galant (Ph) - Quels critères pour quelles civilisations sur les Grands Causses à la fin du Néolithique ? in Sénépart I., Perrin Th., Thirault É. et Bonnardin S. (dir.), Marges frontières et transgression, actes des 8 e Rencontres méridionales de préhistoire récente, Marseille, novembre 2008, Archives d’écologie préhistorique, 2011, p. 75-85, 6 fig. DURAND-TULLOU 2003 : Durand-Tullou (A.) - Un milieu de civilisation traditionnelle : le Causse de Blandas, éd. du Beffroi, Millau 2003. 519 p., 125 fig., 18 pl. GALANT 2005 : Galant (Ph.) - L’habitat de plein-air à la fin du néolithique sur les Grands-Causses : nouvelles observations et apports de la paléospéléologie, Grands-Causses préhistoire et archéologie, 2, 2005, p. 21-34, 10 fig. GALANT et al. 2012 : Galant (Ph.), Villeméjeanne (R.), Étienne (A)., Bruxelles (L.), et Boschi (J.-Y.) - Une découverte majeure pour la connaissance de la fin du Néolithique sur les Grands Causses : le site de la Baumelle à Blandas (Gard), in Perrin Th., Sénépart I., Cauliez J., Thirault É. et Bonnardin S. (dir), Dynamisme et rythmes évolutifs des sociétés de la Préhistoire récente, actes des 9e Rencontres méridionales de préhistoire récente, Saint-Georges-de-Didonne, octobre 2010, Archives d’écologie préhistoriques, 2012, p. 289-306, 14 fig. GUTHERZ 1984 : Gutherz (X.) - Les cultures du Néolithiques récent et final en Languedoc oriental, Thèse de doctorat de 3e cycle, université de Provence Aix-Marseille 1, LAPMO, 2 vol., 371 p., 247 fig., 9 pl. GUTHERZ ET JALLOT 1987 : Gutherz (X.) et Jallot (L.) - Statue-menhir et habitat Néolithique final de Montaïon (Sanilhac-et-Sagriès, Gard), in Actes des journées d’étude des Statues-Menhirs, Saint-Pons-de-Thomières, mai 1984, Fédération des associations et usagers du Parc naturel régional du Haut-Languedoc, 1987, p. 15-36, 18 fig. GUTHERZ ET JALLOT 1995 : Gutherz (X.) et Jallot (L.) - Le Néolithique final du Languedoc méditerranéen, in Voruz J.-L. (dir.), Chronologies néolithiques de 6000 à 2000 avant notre ère dans le bassin rhodanien, actes du colloque d’Ambérieu-en-Bugey, 19 et 20 septembre 1992, XIe Rencontre sur le Néolithique de la région Rhône-Alpes, Ambérieu-en-Bugey, Société préhistorique rhodanienne, p. 231-263, 30 fig. ROUX 2003 : Roux (R.) - Inventaire spéléologique du Causse de Blandas-Montdardier, éd. Groupe d’études et de recherches spéléologiques et archéologiques de Montpellier, Montpellier 2003, 138 p., 74 fig. VILLEMÉJEANNE 1993 : Villeméjeanne (R.) - Bibliographie spéléologique du Causse de Blandas-Montdardier, éd. à compte d’auteur, Alès 1993, 163 p., 64 fig. Philippe Galant Direction régionale des affaires culturelles Languedoc-Roussillon CS 49020 - 5 rue de la Salle l’Evêque 34967 MONTPELLIER Cedex 2 philippe.galant@culture.gouv.fr Richard Villeméjeanne Groupe de Recherches et d’Explorations Souterraines de la région viganaise. tabusse@wanadoo.fr Aurélien Étienne Groupe Spéléologique du Rieutord. aurelin.etienne1984@orange.fr Laurent Bruxelles Inrap, Méditerranée laurent.bruxelles@inrap.fr Jean-Yves Boschi Spéléo-Club de la Vallée de la Vis jyboschi@orange.fr 405